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Le lundi 09 juin 2008
Le néonazisme refait surface à Montréal
Caroline Touzin
La Presse
Dans les années 90, Hochelaga-Maisonneuve avait la réputation d'être le «bastion du Ku Klux Klan à Montréal». Depuis, les groupes racistes ont fondu. Mais ce printemps, une série d'actes violents commis dans le quartier et dans des bars fréquentés par la gauche font craindre une résurgence du mouvement skinhead d'extrême droite. Et ça joue dur.
Les militants de gauche sont inquiets. Une vague de violence et de vandalisme dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve et ses environs leur fait craindre une résurgence du mouvement skinhead d'extrême droite à Montréal.
«Dans le milieu militant, ça fait plusieurs mois qu'on n'entend parler que de ça: l'extrême droite très organisée dans Hochelaga», affirme Jacques Beaudoin, membre du Parti communiste révolutionnaire.
Des groupes antifascistes d'extrême gauche, eux, veulent carrément les expulser du quartier, par la force s'il le faut. C'est le cas du groupe Antifa, qui agit dans la clandestinité depuis deux ans. Il patrouille le quartier, fait des graffitis et de l'affichage sauvage.
Au cours des derniers mois, les antifascistes ont eu une série d'affrontements avec des néonazis, entre autres du gang StrikeForce. Ce dernier serait un groupuscule - une quinzaine de personnes - ultraviolent en lien avec d'autres petits groupes, notamment à Montréal-Nord, à Laval et à Longueuil. Ses membres n'ont pas 30 ans, tout comme leurs ennemis d'Antifa.
«Des néonazis se sont mis à se tenir au parc Préfontaine. Ils faisaient des saluts hitlériens devant tout le monde et brandissaient des drapeaux de l'Allemagne nazie. Ces gars-là s'affichent et n'ont peur de rien», dit Jean*, d'Antifa.
En mars, des antifascistes ont répliqué en placardant le quartier d'affiches. Sur certaines, ils ont inscrit le nom de «néonazis» du secteur, dont au moins un mineur. «Il y avait un danger de les attiser, mais je crois que cela en a aussi intimidé quelques-uns», selon Jean.
Cette technique d'affichage interpelle l'organisme Dopamine, qui travaille auprès des jeunes du quartier. «On suit ça de près. Cela nous fait craindre des manifestations de violence», a dit son directeur général, Luc Morin.
Les néonazis ont répliqué à leur tour. Le sujet de discussion «Hochelaga-Maisonneuve» est apparu sur le forum Internet d'extrême droite Stormfront.org. Des membres montréalais ont décidé de se rencontrer pour se venger. «Pour Blancs seulement: Nous pouvons nous rencontrer dans un centre commercial du centre-ville, mais ne pensez pas qu'on va vous faire confiance instantanément», a écrit StrikeForceHochelaga. Un autre, enthousiaste, a répondu que «toutes les raisons sont bonnes pour aller frapper du communiste».
Début avril, des vitrines de commerces et d'organismes ont été fracassées dans le quartier. Le Rhizome, un organisme de gauche, a été attaqué trois fois. «Des pavés de béton ont été balancés dans les vitrines. Ces dernières ont également été défoncées à coups de barres de fer», a écrit l'organisme sur le site Internet du Centre des médias alternatifs du Québec.
Local d'un député attaqué
La voiture d'un couple homosexuel a été brûlée par un cocktail Molotov et la vitrine du local du député bloquiste Réal Ménard a été fracassée. Ces actes criminels n'ont pas été revendiqués. «Je me suis demandé si ça avait à voir avec mon homosexualité, mais c'est impossible de faire le lien pour l'instant», a dit M. Ménard à La Presse.
«Si les skinheads tentent de s'établir, il va y avoir une mobilisation rapide du milieu communautaire et des élus. Ce n'est pas un quartier qui va laisser s'abîmer son tissu social», ajoute-t-il.
La police ne fait pas de «lien direct» entre les skinheads et des crimes précis survenus depuis le début de l'année, a indiqué le commandant du poste de quartier situé dans Hochelaga-Maisonneuve, François Cayer. «Je ne vous dis pas qu'on n'a pas de skinheads néonazis dans le quartier, mais je vous dirais qu'on n'en voit presque pas», a-t-il ajouté.
Le 1er mai, deux skinheads d'extrême droite se sont présentés à une manifestation de quelques centaines de personnes organisée par une coalition de gauche, toujours dans Hochelaga. L'un d'eux portait une insigne StrikeForce, et l'autre, un chandail 88 (signe de reconnaissance néonazi), selon plusieurs témoins. Des antifascistes leur ont demandé de quitter la manifestation. La bagarre a éclaté.
La présence de ces skinheads n'était pas un hasard, selon l'un des organisateurs de la manifestation, Jacques Beaudoin, du Parti communiste. «Jusqu'à ce que les néonazis arrivent, la manifestation se déroulait dans le calme. Ça a donné un prétexte à la police pour intervenir», croit-il.
C'était le rôle de la police d'intervenir, répond le commandant Cayer. «Une vingtaine de personnes se battaient. Je n'ai pas été témoin du fait que c'était des skinheads», ajoute-t-il.
Pour les antifascistes d'extrême gauche, «on ne répond pas par des signes de peace à un mouvement aussi violent». «La réplique violente est une tactique à court terme. Mais à long terme, ça passe par l'éducation populaire», a dit à La Presse Marie*, du RASH, un autre groupe antiraciste qui a réapparu à Montréal il y a quelques mois après avoir disparu au début des années 2000.
Ces affrontements sont prévisibles, selon l'auteur du livre Skinheads et l'extrême droite, Yves Claudé. «Dès que des groupes de gauche s'affichent ouvertement comme antifascistes, ils doivent s'attendre à des conséquences dans Hochelaga. Les skinheads néonazis y sèment la terreur. Ils y font de la chasse préventive et prônent la vengeance», dit celui qui étudie ces mouvements depuis plus de 20 ans.
Les gangs de skinheads sont vraiment dans une dynamique d'action/réaction actuellement. Il prédit d'autres échauffourées cet été. Vu les idées des deux groupes, il est prévisible aussi que les affrontements ne soient pas toujours signalés à la police, selon le sociologue, enseignant au cégep de Saint-Jérôme.
* Plusieurs intervenants ont demandé que l'on taise leur vrai nom par crainte de représailles.