de Kapitaine_Kolon le Sam Nov 17, 2007 3:08 pm
Désolante routine
Denise Bombardier
Le Devoir - Édition du samedi 17 et du dimanche 18 novembre 2007
Mots clés : financement, grève, Étudiant, Éducation, Québec (province)
Le mot ne s'applique pas qu'aux aléas de la vie amoureuse. Il n'est pas réservé uniquement aux aspects négatifs du travail. Il est au coeur de la vie politique et sociale. Dans cette optique, les manifestations étudiantes de cette semaine, avec leur lot d'agitation et de bêtises délinquantes, appartiennent à une routine estudiantine.
On s'ennuie, on cherche l'émoustillement, on revêt l'uniforme de l'exploité social et du redresseur de torts, on n'a pas réglé ses problèmes avec l'autorité, on croit à l'abolition des droits de scolarité comme les générations précédentes ont cru tour à tour au peace and love, au karma, à la révolution sexuelle et à l'exploitation de l'homme par l'homme, et on descend dans la rue fiévreux, vaguement inquiets, et on se prend pour des moines birmans qu'on a vus sur YouTube. Cela déplaira suprêmement aux adorateurs jeunistes et à ceux parmi les jeunes qui estiment qu'on doit les idolâtrer en vertu de leur âge, faute de quoi on appartient au camp des vieux méprisants, mais cette descente dans les rues relève de l'enfantillage réactionnaire de privilégiés qui pratiquent le nombrilisme social.
S'il n'est pas facile d'être jeune de nos jours, comment qualifier l'époque où, à 25 ans, les garçons et les filles étaient déjà parents de deux ou trois enfants qu'ils avaient la responsabilité de faire vivre? Le père travaillait, avait peu de temps pour épanouir son «moi» dans des loisirs divers, et les mères n'avaient pas de psychologues pour les éclairer sur la façon de développer leur «estime de soi». À 20 ans, on était adulte, au sens de «responsable», et on rêvait qu'un jour nos enfants auraient une vie plus facile. À vrai dire, ces générations ont tellement rêvé l'avenir qu'une partie d'entre elles s'est refusée à contrarier et à contraindre ses propres enfants, avec le résultat qu'elle n'a pas su les élever pour faire face aux réalités de ce monde contemporain rempli de contradictions.
Quand on a appris que tout nous est dû, que le «système» est pourri, que toute autorité est symbole d'exploitation, qu'une institution comme l'université est un instrument de domination capitaliste, qu'entre un recteur et George W. Bush il n'y a qu'une différence de degré dans l'horreur, quand on estime que la société doit payer nos études sans contrôle excessif de la qualité du rendement, on descend dans la rue pour que la répression policière se mette en branle et que, tachés de sang, on crie à la dictature. C'est peu dire qu'on se fiche des autres étudiants, ces confrères aliénés et futurs exploiteurs du système pourri, qui éprouvent peu d'enthousiasme devant notre saine révolte.
Eh bien, y en a marre de ces plaintes appuyées sur des statistiques tronquées ou complaisantes à propos des conséquences catastrophiques d'un dégel des droits de scolarité sur les inscriptions. Avec le plus bas taux de droits au Canada, le nombre d'étudiants universitaires au Québec n'est pas supérieur à celui des autres provinces, ce qui démontrerait qu'il n'y a pas de cause à effet direct entre le prix de la scolarité et la fréquentation universitaire. Des étudiants crient leur indignation au dégel des droits, à hauteur de 50 $ par semestre; d'autres, au nom de leur droit à l'éducation, exigent l'abolition pure et simple de ces mêmes droits, et tous ces jeunes donnent à penser qu'ils sont des victimes alors qu'ils constituent les privilégiés de leur génération, dont les trois quarts n'accèdent pas au niveau universitaire.
Dans la rue, nous sommes face à un lobby de jeunes qui enrobent un discours d'arrière-garde construit sur leurs intérêts particuliers en un prêchi-prêcha où il est question, pêle-mêle, de démocratie, de répression politique et policière, de combat contre l'injustice et d'inégalités sociales. Oui, il y a un sous-financement universitaire; oui, il y a eu incurie et une gestion irresponsable à l'UQAM; mais qui peut croire que c'est dans ces manifestations où s'expriment des indignations gonflées à l'hélium idéologique par des professeurs complaisants dont la lecture sociale s'inspire de la gauche périmée que se trouve la solution aux vrais problèmes de l'enseignement supérieur?
Ces obsédés du gel des droits de scolarité ou de leur abolition sont de mauvais citoyens dans la mesure où ils refusent de faire un léger effort personnel supplémentaire afin de financer l'université comme les autres contribuables. Ces jeunes à qui tout est dû croient aussi à l'assistanat et se fichent bien de ceux qui les suivent. «Après moi le déluge!» pourrait être leur slogan. Faut-il rappeler cependant qu'ils ont eu des maîtres à penser avec ces professeurs baby-boomers, le coeur à gauche dégoulinant de bien-pensance, fonds de retraite et sécurité d'emploi bien encastrés à droite? Ceux-ci ont prémuni leurs étudiants contre tous les salauds de la Terre boursicoteurs, spéculateurs et créateurs d'emplois, aliénants, il va sans dire.
Enfin, n'oublions pas que la majorité des étudiants universitaires proviennent toujours des strates sociales supérieures et qu'en les mettant si peu à contribution pour le financement de l'université, l'État favorise ces mêmes classes supérieures au détriment des jeunes des classes défavorisées. Pour employer le langage des forces vives descendues dans la rue ces derniers jours, on pourrait dire que l'État perpétue l'exploitation des pauvres par les plus riches. C'est ce qu'on appelle l'effet pervers.
denbombardier@vidéotron.ca
FRIEDEN UND LIEBE