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Le comble de la fraude électorale en Russie
Frédérick Lavoie
La Presse
Collaboration spéciale
Moscou
L'observateur électoral Roman Oudot croyait avoir déjà tout vu en matière de fraudes avant le scrutin présidentiel du 2 mars dernier. Mais lorsque l'alerte aérienne a retenti dans son bureau de vote de Moscou, il a compris que le régime de Vladimir Poutine avait encore bien des tours dans son sac pour s'assurer de l'élection de son candidat Dmitri Medvedev.
Roman prenait son rôle très au sérieux. Il avait apporté sa caméra et son appareil photo pour documenter toute irrégularité. Dix minutes avant l'ouverture officielle du bureau de vote, il remarque que l'une des urnes... contient déjà des bulletins de vote. «La directrice de la commission électorale (une membre du parti Russie Unie, qui appuyait la candidature de Medvedev) n'a pas été en mesure d'expliquer comment cela était possible», a raconté hier le jeune homme, lors d'une conférence de presse organisée par l'ONG Golos, recensant les plus «incroyables» fraudes électorales.
La directrice de la commission a par la suite été contrainte de faire sceller l'urne. Mais vers la fin de la journée, l'alerte aérienne a été déclenchée. Chose étrange en temps de paix, note Roman.
Vidéos et photos à l'appui, il explique que des «gens louches» sont entrés dans l'édifice, alors que tout le monde devait évacuer. Il n'y avait alors plus aucun observateur indépendant pour vérifier les urnes. «Avant l'alerte, le taux de participation était de 48%. Après la réouverture, les gens ont pu voter encore une quarantaine de minutes et à la fermeture, la participation était de 80%,» relate Roman.
Dans un autre bureau moscovite, l'observateur du Parti communiste Dmitri Zykov s'est fait offrir un pot-de-vin par un collègue de Russie Unie. «Il m'a dit: «Je te donne beaucoup plus que ton parti si tu rentres chez toi et ne regardes pas comment on compte les voix»,» affirme-t-il. Dmitri a par la suite été exclu par la commission électorale parce qu'il photographiait le décompte des voix, qu'il jugeait non conforme. La loi électorale lui en donne pourtant le droit.
La technique de l'autobus
Dans le sud de la capitale, Grigory Vaïpan a été témoin de la célèbre technique de «l'autobus». Une cinquantaine de personnes se sont présentées pour voter dans un bureau où elles n'étaient pas inscrites. À la plus grande surprise du jeune observateur, la commission les a laissé voter. Selon la loi, ils auraient dû s'inscrire trois jours avant le scrutin. «S'ils le font le jour même, il est impossible de les empêcher d'aller voter à plusieurs endroits!» raisonne Grigory. Des observateurs dans d'autres bureaux du quartier lui ont d'ailleurs confirmé avoir vu les mêmes électeurs exercer leur devoir citoyen.
Malgré tous ces témoignages, la Commission centrale électorale et les tribunaux refusent de confirmer les violations recensées par Golos. Officiellement, il n'y aurait eu que quelques petites irrégularités qui n'auraient pas influencé la victoire de Medvedev (70,28% au premier tour).
«Les élections en Russie ne sont pas organisées par la commission électorale, mais par le pouvoir exécutif (le Kremlin)», soutient Andreï Bouzine, expert électoral pour Golos.
Il s'étonne aussi de l'efficacité de la commission qui, à chaque scrutin, révèle de plus en plus rapidement les résultats définitifs. «Si la tendance se maintient, on en arrivera à un point où ils les annonceront avant le jour du vote!» ironise-t-il.