de Francois Laliberté-Auger le Mer Nov 02, 2005 2:01 pm
Voici un texte paru dans la section affaire de la Presse au sujet du campus Ubisoft. Ce texte est un merveilleux exemple d'arrimage des programmes au marché et surtout un dangeureux précédent.
Ubisoft fonde sa propre école
Maxime Bergeron
02 novembre 2005 - 06h52
Le « Campus Ubisoft », inauguré hier (mardi), constitue le plus important exemple d'arrimage jamais réalisé au Québec entre une entreprise privée et des établissements d'enseignement publics.
Ce campus est un projet du géant français du jeu vidéo Ubisoft. La société manque cruellement de main-d'oeuvre pour alimenter ses studios montréalais, où travaillent déjà 1400 personnes. Elle a donc pris les choses en main... et fondé sa propre école!
Comment fonctionne cet établissement nouveau genre? Les étudiants doivent d'abord s'inscrire dans des programmes ciblés du cégep de Matane ou de l'Université de Sherbrooke- et bientôt de l'Université du Québec et de l'Université de Montréal. Une fois acceptés, ils suivent leurs cours sur le « campus » d'Ubisoft, dans le Vieux-Montréal.
L'entreprise fournit les locaux, l'équipement, les logiciels et une certaine expertise. Les professeurs sont payés par leurs maisons d'enseignement respectives, et non par Ubisoft. Les étudiants versent quant à eux leurs droits de scolarité à leur cégep ou université « d'attache », qui leur délivrera ensuite un diplôme reconnu par le ministère de l'Éducation du Québec (MEQ).
« On est uniquement le rassembleur », a dit Martin Tremblay, PDG d'Ubisoft au Québec, en marge de l'inauguration officielle de l'établissement, hier.
Au MEQ, on n'a jamais vu pareil arrimage entre les besoins d'une industrie et des établissements d'enseignement. « Des gros partenariats aussi serrés que celui-là, il n'y en a pas », a indiqué Johanne Méthot, du ministère, pendant un entretien téléphonique avec La Presse Affaires.
Ubisoft allongera plus de 16 millions de dollars en cinq ans pour financer son « campus ». Son objectif est clair: satisfaire ses besoins pressants de main-d'oeuvre qualifiée. « Aujourd'hui, on recrute à 50 % à l'extérieur du Québec parce qu'il n'y a pas de ressources », a souligné M. Tremblay.
La société a l'intention d'embaucher 600 nouveaux travailleurs d'ici 2010. « On sait que tous les étudiants qui sortent ne viendront pas chez nous, mais on pense qu'une majorité va y venir », a poursuivi M. Tremblay.
En conférence de presse, hier, le PDG a toutefois insisté pour dire que les futurs finissants du « campus » seront libres de travailler où ils veulent. En février dernier, quand le projet avait été annoncé, plusieurs dirigeants d'entreprises concurrentes s'étaient inquiétés de voir les étudiants liés à Ubisoft par des « contrats d'exclusivité ».
Les craintes ne sont pas toutes dissipées. « C'est une bonne nouvelle pour l'industrie, mais on espère deux choses: que ces étudiants-là auront la liberté de choix à la fin de leur cours, et que l'accès à ce programme soit universel », a dit Jean-Martin Masse, chef de direction d'A2M, pendant un entretien téléphonique.
Denis Marceau, vice-recteur à l'enseignement supérieur et à la formation continue à l'Université de Sherbrooke, tient à se faire rassurant à ce chapitre. Son établissement offre un cours de deuxième cycle en développement du jeu vidéo, donné sur le « campus ».
« Ce cours de 30 crédits est générique, offert à tous ceux et celles qui répondent aux critères d'admission, qu'ils projettent ou non de travailler chez Ubisoft », a souligné M. Marceau.
L'industrie du jeu vidéo emploie près de 3000 Québécois et connaîtra une croissance annuelle de 16,5 % au cours des prochaines années, selon une étude de la firme PricewaterhouseCoopers. Ses revenus mondiaux s'élèveront à 54,6 milliards en 2009, avance l'étude. En 2003, les travailleurs de ce domaine gagnaient plus de 50 000 $ en moyenne au Québec.
Le « Campus Ubisoft », inauguré officiellement hier, a accueilli ses premières cohortes d'étudiants en juin dernier. En mai prochain, ils seront 89 à avoir terminé leur formation d'un an. L'année suivante, le nombre de finissants aura doublé, vu la quantité plus grande de programmes offerts.
Ubisoft est présentement en discussion avec des universités québécoises pour mettre sur pied des chaires de recherches spécialisées en jeu vidéo. La société serait tout près de conclure une entente en ce sens.
L'entreprise a par ailleurs dévoilé hier un programme de bourses d'études de 1 million de dollars, étalé sur 10 ans. Ces bourses d'excellence de 10 000 $, 5000 $, 2500 $ et 1000 $ visent à encourager la relève dans le secteur du jeu vidéo. Elles seront disponibles à l'échelle de la province, et pas seulement aux étudiants du « campus ».
Un studio simulé
Qu'ils viennent du cégep ou du deuxième cycle universitaire, les étudiants travaillent tous ensemble à un moment ou à un autre de leur formation sur le « Campus Ubisoft ».
« Ce qu'on fait, c'est qu'on simule un studio de développement de jeu vidéo », a expliqué Martin Tremblay, PDG d'Ubisoft au Québec, en marge de l'inauguration de l'établissement d'enseignement, hier.
Comme chaque groupe d'étudiants a sa spécialité- gestion de projet, design, animation, etc.-, ils peuvent former de petites équipes de travail réalistes, semblables à celles qu'on retrouve dans les entreprises. Le travail en vase clos est découragé. Et c'est là toute la force du « campus », selon M. Tremblay.
Au terme de leur formation, les étudiants n'ont d'ailleurs pas à s'inquiéter de dénicher un boulot, a souligné le PDG. « Que ce soit chez nous ou ailleurs, ils ont un job garanti en sortant. Il faut vraiment que l'étudiant soit un problème pour ne pas que ça se fasse. »