NostraDanissime a écrit:Bon..alors à part prévoir une hausse du budget relatif à la sécurité, que pensez-vous de cet évènement somme toute inquètante? Que devons nous faire en tant que société pour réagir à tout ça?
Le Devoir
IDÉES, lundi 5 juin 2006, p. a7
Ni naïveté ni panique
Venne, Michel
L'arrestation, vendredi, en Ontario, d'un groupe de 17 présumés terroristes, dont cinq adolescents, a conduit des politiciens et des commentateurs à nous inviter à prendre acte de la menace qui plane au-dessus du Canada. Fort bien. Mais il ne faudrait pas non plus que ce présumé complot inspiré d'Al-Qaïda (la police est si avare de détails qu'il faut rester prudent) serve de prétexte à n'importe quoi.
Commençons par dire que l'opération policière démontre en elle-même que nos services de sécurité veillent au grain. Les inculpés étaient surveillés depuis deux ans. S'il s'agit bien d'une cellule terroriste, celle-ci a été démantelée avec succès. Autant la naïveté n'est pas de mise, autant la panique serait mauvaise conseillère. Nous disposons de moyens pour faire face aux réseaux souterrains, formés d'un nombre restreint d'individus, qui menaceraient notre quiétude. La police et le SCRS sont payés pour faire ce travail. Ils peuvent aussi s'inspirer des méthodes éprouvées ailleurs dans le monde, notamment en France, où l'on a tiré les leçons de vrais attentats qui ont fait d'innocentes victimes. Le terrorisme n'est pas né le 11 septembre 2001.
Quiconque suit l'actualité savait déjà, de toute manière, que le Canada n'est pas à l'abri de ce genre d'attentats. Le journaliste André Noël, par exemple, a publié, en décembre 2001, une monumentale série d'articles dévoilant le fonctionnement des filières de nos «terroristes» les plus célèbres. Ahmed Ressam, arrêté à la frontière américaine, avait discuté du projet de provoquer une explosion meurtrière à Outremont à la fin des années 1990. D'autres faits sont régulièrement portés à l'attention du public. Cependant, des rafles policières ont déjà eu lieu qui n'ont conduit à aucune accusation. Des innocents ont aussi fait les frais d'enquêtes et d'arrestations injustifiées.
Le Canada est un pays d'immigration. Il ne faut pas s'étonner que s'y rencontrent tous les courants, toutes les dérives autant que tous les bonheurs du monde.
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La naïveté, donc, n'est pas de mise. Mais l'existence d'une «menace», circonscrite bien que réelle, ne permet pas d'éviter tous les débats.
La présence de réseaux clandestins chez nous ne justifie pas, en soi, l'intervention militaire du Canada en Afghanistan, par exemple. Pas plus que l'on doit conclure que la présence de soldats canadiens dans ce pays soit la cause de la furie meurtrière d'un groupe de radicaux, puisque les filières terroristes existaient bien avant. Cette intervention en Afghanistan doit être jugée à son mérite: est-elle utile au rétablissement de la paix, de la sécurité et de la démocratie dans ce coin du monde? Quel est le meilleur moyen de contribuer à la poursuite de ces idéaux ?
De la même manière, les événements du week-end ne justifient pas l'obsession sécuritaire qui incite le gouvernement fédéral à accepter sans rechigner l'imposition de nouvelles pratiques de contrôle d'identité imposées par les États-Unis. En quoi l'émission d'une carte d'identité comportant des éléments de biométrie, comme les empreintes digitales, nous protégerait davantage contre les terroristes qui, nous apprend-on, sont nés ou ont grandi au Canada, y ont étudié, y occupent des emplois honnêtes, n'ont aucun antécédent judiciaire et élèvent paisiblement leurs enfants dans une banale banlieue torontoise?
Autant personne ne voudrait trouver au coin de chaque rue un policier posté en permanence pour nous protéger des criminels de droit commun, autant notre idéal de liberté nous conduit à refuser d'autoriser les espions à surveiller chacun de nos mouvements ou chacune de nos communications électroniques. Les droits des accusés ne doivent pas davantage être sacrifiés à une campagne de relations publiques.
J'ai peur qu'on se serve des événements du week-end pour justifier un durcissement qui n'aurait aucun effet bénéfique, mais rendrait la vie plus désagréable en ce pays. En outre, depuis septembre 2001, les lois ont déjà été renforcées et certaines des nouvelles dispositions adoptées sont contestées devant les tribunaux.
L'équilibre entre liberté et sécurité est fragile. La peur, les intérêts de la bureaucratie policière ou l'appétit d'autorité d'un gouvernement minoritaire, ne suffisent pas à justifier des décisions dont l'utilité n'est pas démontrée.
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Ces débats débordent largement les enjeux de sécurité. C'est la raison pour laquelle ils sont si difficiles à mener. Les réseaux terroristes remettent en question rien de moins que la civilisation à laquelle nous appartenons, la civilisation occidentale moderne fondée sur des principes comme la liberté individuelle, l'égalité entre les personnes quel que soit leur sexe ou leur culture, le recours à la raison pour tempérer les passions irréfléchies et la privatisation de la pratique religieuse.
Or, présentement, la civilisation occidentale est vulnérable parce qu'elle est traversée par des désaccords radicaux. Samuel Huntington a essayé d'expliquer la situation mondiale en évoquant un choc des civilisations. En réalité, ce choc est vécu à l'intérieur même d'une seule de ces civilisations, la nôtre, et porte sur l'interprétation à faire de son héritage.
Les conflits sont nombreux entre le marché et la nation démocratique, entre l'égoïsme et la liberté, entre l'égalité et l'indifférence. Un débat fondamental nous déchire sur le rôle de l'État. Celui-ci doit-il, minimal, se restreindre à assurer la sécurité des individus, ou doit-il, social, favoriser la solidarité entre tous?
La manière choisie pour répondre aux menaces terroristes trahit l'appartenance à l'un ou l'autre de ces camps qui s'affrontent dans notre propre maison. Les terroristes savent que leur action réveille nos différends. C'est pourquoi ces enjeux doivent être abordés non pas dans un contexte émotif chargé, mais au moyen de processus ouverts de délibération politique. Liberté et démocratie ne peuvent être sauvés en bafouant la liberté et la démocratie.
BlacKGuarD a écrit:Le CATA (Canada's Anti-Terrorism Act) donne à l'État des pouvoirs assez démesurés si l'on suspecte la personne de terrorisme.
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