Je déteste ces titres avec des points d'interrogations, ça montre souvent une grande preuve de non-originalité (Et quand j'entends que c'est une école de pensée, alors qu'ils retournent étudier !), mais il est fichtrement bien fait.
Le vendredi 18 juillet 2008
La fin du néolibéralisme?
Joseph E. Stiglitz
L'auteur est Prix Nobel d'économie 2001 et professeur à l'Université Columbia à New York.
Le monde n'est pas tendre envers le néolibéralisme, ce fourre-tout d'idées basées sur la notion illusoire que les marchés sont auto-correcteurs, qu'ils distribuent efficacement les ressources et servent l'intérêt général. C'est ce fondamentalisme de marché qui a soutenu le thatchérisme, les «reagonomics» et le «Consensus de Washington» favorables aux privatisations, à la libéralisation économique et à des banques centrales indépendantes préoccupées uniquement par l'inflation.
Depuis un quart de siècle, il y a une compétition entre les pays en développement et les perdants apparaissent clairement: non seulement les pays qui ont adopté une politique néolibérale ont perdu la course à la croissance, mais quand il y a eu croissance, elle a bénéficié de manière disproportionnée aux plus riches.
Même si les néolibéraux se refusent à l'admettre, leur idéologie a échoué aussi à l'égard d'un autre critère. Personne ne prétend que les marchés financiers ont distribué efficacement les richesses à la fin des années 90, avec 97% des investissements consacrés à la fibre optique qui prennent des années à porter fruit. Cette erreur a eu au moins un avantage inattendu: le coût des communications a baissé et l'Inde et la Chine se sont intégrés plus avant dans l'économie mondiale.
Mais aucune retombée positive n'a accompagné la mauvaise allocation à grande échelle des ressources dans l'immobilier. Les maisons neuves appartenant à des familles qui n'avaient pas les moyens de les payer sont tombées en ruines et des millions de personnes se sont retrouvées à la rue. Dans certains cas, le gouvernement a dû intervenir pour sauver ce qui pouvait l'être et quand il ne l'a pas fait, les dégâts se sont étendus. Même les citoyens modèles, ceux qui empruntaient avec prudence et entretenaient leur maison, constatent que les marchés ont fait chuter la valeur de leur propriété en deçà de l'imaginable.
Certes, l'investissement excessif dans l'immobilier a été porteur de bénéfices à court terme: quelques Américains sont devenus propriétaires de maisons bien plus grandes que cela n'aurait été possible autrement (peut-être pour seulement quelques mois). Mais à quel coût pour eux-mêmes et pour l'économie mondiale?
Avec leur maison, des millions de gens vont perdre les économies de toute une vie. Et les saisies dans l'immobilier ont entraîné un ralentissement mondial de l'activité. Il y a consensus quant aux prévisions: le ralentissement sera général et de longue durée.
De même, les marchés ne nous ont pas préparés à la hausse du prix du pétrole et de l'alimentation. Il est vrai que ces secteurs n'appartiennent pas en totalité à l'économie de marché, mais ce n'est pas là l'important: la rhétorique de marché est brandie de manière sélective: revendiquée quand elle sert des intérêts particuliers et rejetée quand ce n'est pas le cas. (...)
Les défenseurs du fondamentalisme de marché veulent faire porter la responsabilité de leur échec au gouvernement plutôt qu'à l'économie de marché. Un haut responsable chinois aurait déclaré que le problème tenait à ce que face à la crise de l'immobilier, le gouvernement américain n'a pas fait assez pour venir en aide aux Américains les moins fortunés. Je suis d'accord avec lui, mais cela ne change pas la réalité: les banques américaines ont mal géré les risques, et ceci à une échelle colossale, avec des conséquences à l'échelle de la planète, tandis que les dirigeants de ces institutions sont partis avec des milliards de dollars d'indemnité.
Il y a aujourd'hui découplage total entre les bénéfices sociaux et les intérêts privés. Dans un tel contexte, l'économie de marché ne peut fonctionner de manière satisfaisante.
Le fondamentalisme néolibéral est une doctrine politique au service d'intérêts privés, il ne repose pas sur une théorie économique. Il est maintenant évident qu'il ne repose pas plus sur une expérience historique. Cette leçon est le seul bénéfice à tirer de la menace qui pèse sur l'économie mondiale.
Copyright: Project Syndicate, 2008.