Je vous transmets ici un article que je trouve intéressant qui est paru dans la dernière édition en ligne du journal de gauche Presse-toi à gauche ! :
«Le piège de l’indexation des frais de scolarité
Chronique d’un dégel annoncé
lundi 29 mai 2006, par Éric Martin, Simon Tremblay-Pepin
À moins d’une prise de conscience généralisée du mouvement étudiant québécois, les frais de scolarité au Québec seront indexés au coût de la vie dans la prochaine année, et le tout sera présenté comme une victoire pour les étudiants qui auront évité le « pire » : la débâcle d’un dégel sans balises. En dernière analyse, pourtant, il en coûtera progressivement de plus en plus cher pour étudier au Québec, et c’est toute la société qui y perdra.
Depuis deux ans, éditorialistes, chroniqueurs et recteurs préparent la venue du dégel « inévitable » en posant une augmentation des frais de scolarité comme nécessaire au financement des établissements d’enseignement postsecondaire.
S’il leur est arrivé d’appuyer timidement la lutte contre les coupures des 103 millions, c’était pour dire d’un même souffle que la gratuité scolaire relevait du domaine de « l’impensable », qu’il faudrait bien que les étudiants et étudiantes soient raisonnables et acceptent tôt ou tard d’accroître leur contribution au financement des universités.
Alors que des élections générales se préparent pour le printemps, voire l’automne, une augmentation des frais de scolarité au Québec s’annonce comme un enjeu incontournable du prochain débat électoral. En coulisse, un grand jeu se prépare pour qu’à l’issue du scrutin, l’indexation des frais de scolarité devienne le nouveau consensus social québécois.
Tendre le piège
Les administrations universitaires sont prises à la gorge. Le désinvestissement en éducation cause des déficits insurmontables qui paralysent le fonctionnement des institutions. Dans un premier temps, elles procéderont (ou menaceront de procéder) à des hausses des frais afférents ou à une diminution de la qualité des services offerts. Dans un deuxième temps, elles appelleront le mouvement étudiant à se joindre à elles dans une lutte pour le réinvestissement en brandissant l’épouvantail d’un dégel massif des frais de scolarité.
Or, les administrations ont depuis longtemps abandonné l’idée qu’un tel réinvestissement soit possible. L’indexation des frais de scolarité fait déjà partie de leurs prévisions stratégiques et elles trouveront sur cette question une excellente réception au sein du Parti Libéral et du Parti Québécois.
Le piège se referme
La suite va de soi. En période électorale, devant la menace d’un dégel arbitraire et incontrôlé des frais de scolarité, les associations étudiantes et les syndicats de professeurs, feront pression, manifesteront et protesteront. S’ils réussissent à établir un certain rapport de force, ils feront « reculer le gouvernement » et obtiendront un compromis : l’indexation. Il est envisageable que le prochain gouvernement réussisse à dégager quelques millions de $ pour accompagner l’indexation, sous prétexte qu’il faut bien que chacun fasse sa part. Parions que devant ce « succès » certains acteurs du mouvement étudiant trouveront encore le moyen de crier victoire, ce qui semble être leur habitude à chaque recul.
Pourtant, l’indexation et le dégel sont une seule et même chose. L’unique différence entre les deux étant que l’indexation suit le cours de l’inflation ce qui rendrait cette augmentation « naturelle ». Ce qui n’est pas dit ici, c’est que les revenus des étudiants, eux, ne suivent pas la progression du coût de la vie. Au final, les étudiants s’appauvriront et s’endetteront plus encore d’année en année, l’éducation sera moins accessible et ce qui constitue un choix politique néfaste aura été présenté une fois de plus comme une fatalité.
Que faire ?
Pour éviter de tomber dans le panneau, le mouvement étudiant doit d’abord prendre acte que, dans cette bataille, les intérêts immédiats des administrations universitaires sont à l’opposé des siens. Il faut donc refuser la concertation et ne pas s’engager dans une lutte commune pour un réinvestissement qui mènera assurément à l’indexation. Les associations étudiantes doivent attaquer dès maintenant la légitimité de l’indexation, systématiquement présentée comme étant préférable à un dégel des frais arbitraire. Il n’en est rien. Toute augmentation des frais de scolarité, surtout lorsque justifiée par des impératifs rentabilistes et une conception utilitariste de l’éducation, doit être dénoncée publiquement au-delà de ses airs de respectabilité comptable comme un coup de force de la logique marchande.
Le mouvement étudiant doit se réorganiser largement et sur la base d’une approche critique des conditions économiques et politiques dans lesquelles s’opère depuis déjà quelque temps la mise à mort à petit feu de l’idéal d’accès pour tous et toutes à une éducation générale et publique. « Reconnaître les faits, c’est les critiquer », disait Herbert Marcuse. L’opposition étudiante et intellectuelle à l’instrumentalisation de l’éducation doit se construire sur une analyse qui dépasse le syndicalisme de boutique et qui lie cette lutte à la crise de la Raison et à la technocratisation du social. Il ne suffit plus aujourd’hui de tenter de sauver les meubles : la maison brûle.
Une position de négociation qui n’exige rien de plus que le statu quo amène systématiquement à un recul. Se battre pour le maintien du gel des frais de scolarité, c’est s’assurer de perdre invariablement du terrain à chaque lutte, jusqu’à un jour être acculé au pied du mur. La gratuité scolaire doit être le seul horizon vers lequel porter les luttes étudiantes. Ce n’est pas seulement une bonne position de négociation. C’est aussi et surtout un projet de société où l’éducation, matériellement acessible à tous et toutes, préservée de l’influence indue du marché, devient un lieu de formation critique qui permet de remettre en cause la légitimité des orientations sociales. Ces orientations qui, bien avant d’épouser la courbe de l’inflation, devraient être au diapason de nos débats démocratiques.»
Source: http://www.pressegauche.org/article.php3?id_article=153