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Nos universités, usines à diplômés
Violaine Ballivy et Louise Leduc
La Presse
À grands coups de gueule dans les journaux, professeurs et étudiants disent régulièrement tout leur mépris pour la médiocrité des universités qui seraient devenues des machines à diplômer. De l'argent vite fait, bien fait. En cette période de l'année où se multiplient les cérémonies de remise de diplômes, la question se pose: les baccalauréats de nos universités valent-ils encore quelque chose?
À l'UQAM, au département de communication, avant même le premier examen, avant même le premier travail, les étudiants savent déjà comment ça va finir: par une moyenne de groupe qui «devrait normalement se situer entre 83% et 89%», dixit la consigne du département remise aux étudiants en début de session et qu'approuve la haute direction de l'UQAM. Au prof de «normaliser» en conséquence.
Au surplus, à l'UQAM, les étudiants sont appelés à voter chaque plan de cours. Ils refusent tout examen et ne veulent que des travaux d'équipe? Soit. Tant que la majorité est d'accord.
Jordan Fainstat, étudiant en science politique à l'Université Concordia, raconte comment ça se passe dans ses cours à lui. «Si la moitié de la classe coule un examen, le professeur s'ajuste et décide que l'examen, par exemple, ne comptera que pour 15% de la note finale.»
Les entrevues réalisées avec les professeurs et les étudiants rendent compte de deux réalités bien distinctes: celle des sciences pures ou de la santé, où on a le sentiment que les cours sont exigeants et de niveau universitaire; et celle des sciences sociales ou de l'éducation, où c'est nettement moins clair.
«À l'Université de Montréal, observe Josée Lusignan qui y étudie, on dit qu'il y a l'université du haut de la côte et l'université du bas de la côte. En haut de la côte, la faculté de pharmacie a un nouveau pavillon. À la Polytechnique, à la faculté de médecine, ils n'ont pas à se plaindre non plus. Tandis que nous, en bas de la côte, en sciences sociales, nos pavillons sont tellement vétustes que c'en est gênant.»
Et ce n'est pas qu'affaire de briques. Pour quantité de programmes, il n'y a aucune barrière à l'entrée. Dès lors qu'on a son diplôme de cégep - et encore -, l'admission est acquise d'emblée et le diplôme assuré, pour peu qu'on ait persévéré.
Persévéré à quoi? À l'ennui total, résume Josée Lusignan, qui étudie en enseignement. Ses cours, résume-t-elle, consistent à refaire son primaire. «En didactique des mathématiques, on fait des fractions, des résolutions de problème de type: Pierre et Paul mangent une tarte En histoire, on me redit qui a exploré où. Dans un autre cours, on passe notre temps à étudier le programme ministériel, ce que je pourrais faire moi-même, en temps voulu. Bref, je n'apprends rien d'édifiant: j'attends mon papier, point à la ligne.»
Un professeur en éducation qui demande l'anonymat parce qu'il dit «avoir assez payé de sa personne» considère que l'université est devenue en grande partie «un crime contre l'esprit, un détournement de fonds publics» et que les départements d'éducation sont minés par l'endoctrinement idéologique du ministère de l'Éducation. Le fond du baril? Le bac en enseignement primaire. «J'ai vu des étudiants en éducation primaire à qui l'on demandait de bricoler une maternelle en carton. J'ai déjà lu un mémoire de maîtrise qui portait sur l'astrologie comme moyen d'orientation scolaire. Ce qui est important, pour l'université, c'est d'être rentable, d'admettre le plus d'étudiants possible, sans s'inquiéter de ce que les étudiants en sortent ignorants.»
Un professeur de droit réputé et décoré de prix internationaux - qui demande aussi l'anonymat - est lui aussi outré. «La réalité des facultés de droit, c'est que ce sont des usines.»
Prenez les plus prestigieuses facultés du Canada, dit-il. «Osgoode Hall, à Toronto: 828 étudiants. Université of Western Ontario: 498. L'Université de Toronto: 585. Et on parle ici d'universités où convergent des étudiants de partout au Canada. Pendant ce temps, au Québec, nos facultés comptent entre 1200 et 1500 étudiants, alors qu'il y a 10 ans, chez nous, on en avait moins de 700. Quand t'admets tant de joueurs dans tes facultés, tu t'éloignes nécessairement beaucoup des Sidney Crosby de ce monde»
Et la cote R?
Mais les étudiants ne doivent-ils pas tous atteindre une certaine cote R, qui fait foi de tout? "Dans plusieurs départements, on réduit les exigences pour accueillir plus d'étudiants", nous confie un professeur en économie.
Ces propos rejoignent maints cris du coeur bien publics. Dans un texte publié par La Presse en novembre, Philippe Faucher, directeur du département de science politique de l'Université de Montréal, écrivait: "Il n'y a pas de raisons pour que le Canada, avec son niveau de vie, se contente d'universités médiocres."
Suzanne G.-Chartrand, professeure en éducation à l'Université Laval, déclarait à La Presse en novembre: "Ça fait 15 ans que je contribue à diplômer du monde qui ne devrait pas avoir le droit d'enseigner. () J'ai des étudiants dont je me dis: J'espère que mes petits-enfants ne l'auront jamais comme professeur." Dans Le Devoir, récemment, Mme Chartrand disait avoir été citée hors contexte et corrigeait le tir de façon encore moins rassurante. "J'ai enseigné à l'Université de Montréal, à l'UQAM, à Sherbrooke et à Laval. Or, je vois la même chose depuis 15 ans. Ce n'est certainement pas propre à (l'Université) Laval."
Toujours à l'automne, 19 professeurs de science politique et de physique de l'Université de Montréal y allaient à leur tour de leur cri d'alarme dans Le Devoir: "Il devient très difficile d'assurer une formation universitaire digne de ce nom", écrivaient-ils.
C'est tellement rendu n'importe quoi, raconte notre professeur de droit cité plus haut, que dans sa faculté, du jour au lendemain, sans changer une virgule du contenu, un cours de baccalauréat est devenu un cours de maîtrise. Pourquoi? Parce qu'un étudiant à la maîtrise, ça donne plus de subventions qu'un étudiant au baccalauréat, tout simplement!"
Dominique Brousseau, qui étudie en gestion du tourisme à l'UQAM, signale, elle, que dans un cours de trois heures, le chargé de cours ne s'est jamais rendu plus loin qu'une heure et demie de cours. "Ils étirent la sauce et se cherchent désespérément du contenu. Les cours sont hyper-redondants: souvent, on oblige les étudiants à suivre des cours en séquence - le cours introductif, puis ses suites - alors que tout pourrait très bien se faire en une session."
Marc Renaud, professeur de sociologie à l'Université de Montréal, s'inscrit en faux contre le pessimisme ambiant et contre l'obsession des palmarès qui classent les universités de ce monde. "C'est sûr qu'il y a des départements qui sont moins bons, mais ce qui compte, en bout de piste, c'est le professeur et le sentiment d'avoir appris ou pas."