Project Syndicate monte en épingle un fait divers
Décryptage
La lecture critique de la presse dominante internationale réserve souvent des surprises qui ne devraient plus en être. Comme nous le montrons un peu plus à chaque édition, les pages éditoriales de la presse internationale sont le lieu d’opérations de propagande visant à donner une lecture particulière d’un événement donné. Elles peuvent aussi servir à divertir l’attention du public en focalisant son attention sur des sujets secondaires. C’est le cas de la présente livraison qui traite du coup de filet anti-terroriste survenu début juin au Canada. L’abondance de tribunes libres parues à ce propos et le caractère souvent redondant de leurs contenus visent à occuper les colonnes des journaux et l’esprit des lecteurs pour masquer des événements plus importants dont deux au moins ont des répercussions considérables sur l’équilibre mondial, mais passent inaperçus.
Le premier, c’est la sixième conférence de l’Organisation de coopération de Shanghaï (OCS), structure regroupant la Chine, la Russie, le Kazakhstan, le Kirghizstan, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan, associés à quatre observateurs : la Mongolie, l’Iran, l’Inde et le Pakistan. Cette organisation, fondée avant les attentats du 11 septembre, a pour vocation affichée de combattre le terrorisme, qu’elle n’associe non pas à un grand complot islamique mondial comme les pays occidentaux, mais au séparatisme. Or, les dirigeants des pays de l’OCS ont désormais adopté l’interprétation que le général Leonid Ivashov avait développé dans son intervention à la conférence Axis for peace 2005 : les mouvements séparatistes en Tchétchénie et dans toute l’Asie centrale sont instrumentalisés par les Anglo-saxons contre les États de cette région. En proclamant intensifier les efforts conjoints contre cette menace pour leur intégrité territoriale et développer les exercices militaires communs (ce qui nécessite une mise en conformité de leurs équipements militaires), les États de l’OCS ont implicitement déclaré qu’ils opéraient un réarmement conjoint contre les Etats-Unis, le Royaume-Uni et leurs alliés. La presse occidentale, qui refuse de rendre compte des points de vue russe et chinois, n’a pas été en mesure d’expliquer à ses lecteurs l’évolution de l’OCS. Tout au plus, reprenant à son compte les suggestions du département d’État, elle s’est contentée d’y voir une alliance de circonstance entre régimes qualifiés de totalitaires pour résister à la pression dite démocratique des États-Unis. Traitant à la va-vite le sommet de Shanghai, la presse occidentale n’a pas plus compris l’intégration de l’Iran dans ce dispositif, ni la compétition qui s’engage pour y inclure l’Inde et le Pakistan. Telle l’autruche qui fuit la réalité en enfouissant sa tête dans le sable, la presse atlantiste croit prolonger la domination anglo-saxonne sur le monde en niant la constitution d’un nouveau pôle décisionnel et en persistant à ne traiter de la Russie et de sa politique asiatique que sous l’angle de la « re-soviétisation » ou du déclin.
Le deuxième événement décisif passé inaperçu est la nomination d’Henry Paulson en remplacement de John Snow comme secrétaire au Trésor. Cette entrée sur la scène politique marque l’apothéose de la prise de contrôle des diverses institutions économiques et financières à Washington par Goldman & Sachs, dont Paulson était le Pdg. Tout se passe comme si l’administration Bush était la propriété de quelques multinationales : Lockheed Martin, Bechtel, Halliburton et désormais Goldman & Sachs. L’adhésion de « la » firme, comme ses cadres la nomment, à ce puissant cartel répond à un besoin des partenaires déjà en place. L’économie US est en pleine déconfiture avec la chute de sa production manufacturière et l’accroissement vertigineux de sa dette extérieure. Elle masque sa faiblesse en imprimant des billets verts qui ont perdu leur convertibilité et ne sont plus garantis que par la puissance militaire. Les multinationales qui se sont payées l’administration Bush craignent avant toute chose la revente massive des Bons du Trésor états-unien détenus par la Chine. Pékin, à tout instant, peut provoquer une dévaluation de fait du dollar qui déboucherait sur une crise du capitalisme sans précédent depuis 1929. Or, Henry Paulson est précisémment le banquier qui a vendu ces Bons du Trésor à la Chine. À ce titre, il est le plus apte à raisonner Pékin en faisant valoir qu’un écroulement des Etats-Unis affecterait aussi, par contrecoup, l’économie chinoise. Sa nomination est donc le dernier viatique de Washington pour conjurer la banqueroute. Ce faisant, les États-Unis révèlent leur impuissance à mener une politique agressive en Asie pour la plus grande confusion des néo-conservateurs toujours obsessionnellement occupés à planifier la guerre nucléaire contre la Chine en 2017.
C’est donc avec une certaine lassitude, à défaut de surprise ou d’agacement, qu’en lieu et place de ces évènements essentiels dans la compréhension des enjeux actuels, on assiste à la Nième campagne de diabolisation de la communauté musulmane dans la presse internationale.
On se consolera en analysant comment cette opération illustre le fonctionnement des médias internationaux aussi bien dans la façon de cacher les vrais enjeux que dans la fabrication d’un événement « faisant sens » à l’échelle internationale.
Le 2 juin 2006, 17 personnes ont été arrêtées au Canada, accusées d’avoir voulu organiser des attentats à grande échelle sur le sol canadien. Ces hommes, pour la plupart très jeunes (cinq d’entre eux sont mineurs, la moitié à moins de 21 ans), ont immédiatement été présentés à la presse comme des fanatiques prêts à attaquer le Parlement, à prendre des députés en otage, voire à décapiter le Premier ministre canadien conservateur Stephen Harper.
Une partie de la presse canadienne s’est alors déchaînée. The Ottawa Citizen a estimé dans un éditorial intitulé « Jihad in Canada » que ces arrestations démontraient que le Canada était lui aussi menacé. Le quotidien s’étonnait même qu’elles interviennent si tard, tant il était sûr que la menace était présente. Prenant de vagues pincettes, le journal déclarait quand même que ceux qui étaient en cause étaient des islamistes, pas des musulmans. On trouva des propos similaires sous la plume d’Eric Margolis dans le Toronto Sun. L’éditorialiste trouvait là la preuve que le Canada est une cible au même titre que tous les États occidentaux. Le très néoconservateur National Post allait encore plus loin titrant sur « ces jihadistes parmi nous ». Il affirmait que ces arrestations démontrent que le péril islamiste est une réalité en elle-même, indépendamment de la guerre en Irak, puisque le Canada n’y participe pas. La gauche devrait l’admettre une fois pour toutes et les lois antiterroristes devraient être renforcées.
Le lecteur observera le caractère maladif de cet emballement médiatique : 17 adolescents menacent la sécurité d’un pays de 33 millions d’habitants ; ils sont dangereux et coupables parce qu’ils ont été arrêtés ; il faut sacrifier nos libertés pour nous protéger du terroriste qui sommeille chez tout gamin musulman.
Une fois la surenchère médiatique retombée, des voix dissonantes se firent pourtant entendre et des craintes s’exprimèrent. Dans The Globe and Mail, l’éditorialiste Lawrence Martin redoutait que la peur suscitée par ces annonces catastrophistes ne servent à Stephen Harper pour lier davantage le pays à la coalition anglo-saxonne. Dans le Winnipeg Free Press, le journaliste britannique Gwynne Dyer, jugeait pour sa part que la menace terroriste était totalement exagérée. Des militants pacifistes canadiens s’étonnèrent que ce groupe soit arrêté aujourd’hui alors que de nombreuses déclarations officielles font état d’une surveillance des suspects depuis 2004. Ils remirent en cause de nombreuses invraisemblances sur la « dangerosité » de ces hommes.
Aussi, malgré un démarrage en fanfare, des positions plus mesurées vinrent vite contrebalancer les « Unes » paranoïaques de la presse dominante canadienne. Cette remise en cause eu le don d’agacer l’ancien rédacteur des discours de George W. Bush, David Frum. Dans un éditorial du National Post, il dénonce l’irresponsabilité de ces Canadiens qui ne veulent pas prendre l’affaire au sérieux. Il y décèle la preuve d’une faiblesse psychologique qui les empêche de voir en face la vérité du péril « jihadiste ». Ne niant pas que les « terroristes » arrêtés ont fait preuve d’une grande maladresse, il assure que cela ne les rendait pas moins dangereux.
Dans la presse arabe, cet événement fut présenté comme un nouvel avatar des campagnes de communications que les gouvernements americanistes orchestrent avec la complicité de leurs appareils judiciaires et de leurs médias pour justifier un rapprochement avec Washington.
Ainsi dans Dar-Alhayat, le journaliste libano-canadien, Ali Haouili, redoute que cet événement ne soit utilisé par les États-Unis pour pousser le Canada à s’aligner sur ses positions sécuritaires. Allant plus loin, le célèbre journaliste britannique Robert Fisk, constate dans Al Watan, que la presse canadienne s’est emparée d’un fait divers pour réaffirmer son racisme latent, désignant les présumés terroristes comme « des bruns », présentant leurs partisans comme des femmes voilés (afin de renforcer leur image d’islamiste et de les désigner comme coupables). Pour le journaliste, le pays de l’Érable risque fort de s’ajouter à la liste des contrées inhospitalières pour les musulmans.
On le voit, cette affaire fait débat au Canada et apparaît comme une manipulation du pouvoir canadien dans la presse arabe. Mais dans la majeure partie de la presse internationale, ces évènements canadiens servent de support à une nouvelle campagne faisant des musulmans une communauté intrinsèquement dangereuse et perméable au « jihadisme ». On assiste là à un phénomène semblable à celui auquel nous avions assisté lors des émeutes de novembre 2005 en France. A l’époque, la presse française avait débattu des évènements en hésitant à les analyser d’un point de vue social ou ethnique, c’est-à-dire en rechignant à entrer dans la logique du « Choc des civilisations ». La presse internationale avait pour sa part majoritairement présenté ces évènements comme une preuve de la dangerosité des « immigrés » musulmans et de l’influence du « jihad » en Europe.
Aujourd’hui, quand le débat canadien se déplace de la dangerosité des 17 personnes arrêtées à la possible manipulation que représente ces arrestations médiatiques, la presse internationale préfère titrer sur le danger de radicalisation des jeunes musulmans vivant en « Occident ». La distorsion des réalités étrangères est toujours plus facile pour convaincre son lectorat de l’imminence de la « menace islamiste ».
L’ancien commandeur de l’alliance atlantique lors des bombardements de la Serbie, le général démocrate Wesley Clark, élargit l’affaire canadienne à toute la communauté des démocraties et en tire quelques généralités. Dans The Globe and Mail il clame aux lecteurs canadiens qu’ils ne sont pas seuls à faire face à la menace « jihadiste ». Il estime que l’Occident doit montrer une attention particulière à ses « immigrés de seconde génération » et à ses communautés musulmanes qu’elle doit encadrer, faire collaborer avec les services de renseignement et qu’elle doit infiltrer.
Il est suivi dans son analyse par l’éditorialiste du Boston Globe, H.D.S. Greenway, qui s’inquiète lui aussi de la séduction de l’islamisme chez les jeunes musulmans.
Le cabinet de relations publiques Project Syndicate, se montre très actif dans la mise en scène des arrestations au Canada et leur utilisation pour accuser les jeunes musulmans d’être des dangers pour les sociétés occidentales.
La chercheuse au Royal Institute for International Affairs, Mai Yamani, considère dans le Korea Herald, le Japan Times et le Daily Star que les jeunes musulmans vivant en « Occident » sont trop perméables à la radicalisation. C’est pour cela qu’il faut démontrer que « l’Occident » souhaite sincèrement la démocratisation du monde musulman en soutenant les démocrates dans les pays d’origine de ces populations. Bref, s’appuyant sur le climat médiatique suscité par les arrestations canadiennes, l’auteur demande un ralliement international aux objectifs affichés des néo-conservateurs.
Le linguiste et écrivain français Tzvetan Todorov va dans le même sens dans Los Tiempos (Bolivie), le Daily Star (Liban), le Taipei Times (Taïwan), le Daily Times (Pakistan) et sans doute d’autres publications nous ayant échappé. Il revient lui aussi sur cette « contagion islamiste » qui touche ces « assassins naturalisés ». Dans un texte ambiguë où il se plaît à dénoncer l’action de George W. Bush, l’auteur n’en reprend pas moins les grands arguments de la guerre au terrorisme : menace émanant du monde musulman, nécessité de remettre en cause l’équilibre entre sécurité et liberté et union sacrée de l’Occident face à ce nouveau péril.
A nouveau, les pages opinion, détournent l’attention des vraies questions, falsifient les débats et donnent aux lecteurs une vision faussée des problématiques internationales. Et comme toujours, Project Syndicate, l’officine de George Soros, est particulièrement actif dans ce processus.
aperçu:
« Nous tromper nous-mêmes en nous sentant en sécurité »
Auteur David Frum
David Frum a été rédacteur des discours de George W. Bush,notamment celui sur l’« Axe du mal ». Il est aussi rédacteur de National Review et membre de l’American Entreprise Institute.
Source National Post (Canada)
Référence « Fooling ourselves into feeling safe », par David Frum, National Post, 10 juin 2006.
Résumé Le 9 septembre 2001, Ziad Jarrah, le terroriste qui dirigea le détournement du vol 93 le 11 septembre 2001, a été flashé en voiture à plus de 90 miles à l’heure sur l’I95. S’il avait été arrêté ce jour-là, il n’aurait pas pu détourner cet avion (il était le seul à savoir piloter) et peut-être même qu’il aurait été possible en le faisant parler d’éviter la totalité des attentats. Rouler au dessus de la limitation de vitesse deux jours avant une telle opération est stupide, mais il l’a quand même fait.
Depuis l’arrestation des 17 suspects dans une affaire de terrorisme au Canada, on lit beaucoup dans les journaux qu’il ne s’agirait pas de « vrais terroristes », que les personnes arrêtées auraient eu des comportements trop ineptes pour être vraiment dangereux. Mais leur attitude était-elle moins censée que celle de Ziad Jarrah ? On pourrait aussi parler de Jamal Zougam, l’organisateur des attentats de Madrid, qui fut arrêté en juillet 2001 et en décembre 2001 et qui aurait pu être surveillé, mais qui n’eut pas la présence d’esprit de coordonner les opérations avec un autre téléphone que son portable. De même Ben Laden ne savait pas que les Twin Towers s’effondrerait le 11 septembre, mais il a eu de la chance. Richard Reid ne savait pas bien comment fonctionnait l’explosif qu’il avait dans ses chaussures, mais il n’a pas eu de chance.
En fait, minimiser les compétences des 17 terroristes permet surtout aux Canadiens de se rassurer. Ils ne veulent pas voir la réalité en face. Ils devraient pourtant comprendre qu’ils sont embarqués sur le même bateau que les autres.
« La « neutralité » canadienne après le repérage du réseau « terroriste ». »
Auteur Ali Haouili
Ali Haouili est écrivain et journaliste libanais résidant à Canada. Il est également le rédacteur en chef de l’hebdomadaire Almousstakbal, publié à Canada et aux États-Unis.
Source Dar Al-Hayat (Royaume-Uni)
Référence « « الحياد » الكندي بعد كشف الشبكة « الإرهابية » « , par Ali Haouili, Dar-Alhayat, 09 juin 2006.
Résumé Le Canada a commencé à lier l’immigration au terrorisme, pour la première fois, en 1999, après l’arrestation du membre d’ » Al-Qaida » Ahmed Rassam. Celui-ci a été accusé de vouloir attaquer des intérêts états-uniens à Seattle.
Les événements de 11 septembre ont amené le Canada, comme les États-Unis à prendre des mesures et à voter des lois anti-terroristes qui ont suscité une polémique sans précèdent. Le service de renseignement canadien n’a pas cessé de mettre sous écoute les organisations islamistes à travers le pays. Il a accusé récemment un nombre d’activistes du Hamas et du Jihad islamique, parmi d’autres au Canada, d’avoir planifié des attentats.
Dans ce cadre, les autorités canadiennes ont arrêté récemment 17 personnes de différents âges et catégories sociales. Elles sont accusées de vouloir porter atteinte à la sécurité nationale, en planifiant diverses attaques contre des intérêts canadiens. Certains responsables canadiens, sympathisant avec les Arabes et les musulmans, craignent que les États-Unis instrumentalisent cet événement en multipliant leurs pressions sur les responsables canadiens, les obligeant à adopter la politique sécuritaire états-unienne. De telles mesures risquent d’influencer la « neutralité » internationale du Canada, et de l’amener à limiter les libertés des ressortissants arabes et musulmans dans son territoire.
« Comment la discrimination a-t-elle envahit le Canada ? »
Auteur Robert Fisk
Journaliste et écrivain, Robert Fisk est le journaliste vedette et le correspondant au Proche-Orient du quotidien britannique The Independent. Il est l’auteur de Pity the Nation : Lebanon at War et de The Great War for Civilisation : the Conquest of the Middle East.
Source Al Watan (Koweit)
Référence « كيف غزت العنصرية كندا « , par Robert Fisk, Al Watan , 11 juin 2006.
Résumé L’arrestation de 17 musulmans canadiens a été instrumentalisée par la presse canadienne. Ce qui risque de réduire les chances de voir les accusés jouir d’un jugement équitable. Cela sèmera également la peur dans les cœurs de la population musulmane. Une population dont certains doivent avoir déjà pensé à quitter le territoire, et dont j’aurais fais partie si j’étais musulman.
D’ailleurs, l’affaire des 17 « islamistes » avait, peut être, pour objectif de pousser les musulmans du pays à préparer leurs valises pour une autre destination. Les journaux locaux ont évoqué un plan terroriste visant à faire exploser, entre autres, le bâtiment du parlement et le centre des renseignements généraux canadien. Ils ont même publié des photos des familles des accusés, et surtout des femmes voilées. Tout cela avant même de prouver que les accusés sont coupables.
J’ai été choqué récemment par l’utilisation, à la Une d’un quotidien canadien, de l’adjectif « bruns » pour distinguer entre les indigènes et les musulmans venant d’autres pays. C’est un indice qui montre à quel point la presse canadienne est devenue raciste au fil des années.
L’image donnée des musulmans au Canada sert surtout à cacher l’embarras de leur armée en Afghanistan, alors qu’il est question de l’impliquer aussi en Irak.
« Connaître l’ennemi intérieur »
Auteur Wesley K. Clark
Le Général Wesley Clark a été commandant suprême des forces de l’OTAN en Europe (1997-2000). À ce titre, il a dirigé les troupes de l’Alliance pendant la guerre du Kosovo. Il a été candidat malheureux à l’investiture démocrate pour l’élection présidentielle états-unienne de 2004.
Source The Globe and Mail (Canada)
Référence « Knowing the enemy within », par Wesley Clark, The Globe and Mail, 6 juin 2006.
Résumé L’arrestation de 17 personnes accusées de terrorisme à Toronto a démontré une fois de plus que l’une des pires menaces à laquelle les démocraties occidentales et nos services de renseignement doivent faire face est le danger que font peser les groupes terroristes composés d’immigrés de seconde génération.
Cela est difficile à imaginer. Comment des Canadiens se sont-ils laissés intoxiqués par Al Qaïda ? L’arrestation de ces hommes permet d’y voir plus clair et de répondre à certaines interrogations. Les terroristes locaux ont comme principale arme l’invisibilité. Ils sont difficiles à repérer et n’ont pas besoin d’aides ou de financements étrangers. Ils peuvent acheter de quoi faire des bombes et ils peuvent les concevoir en apprenant la méthode sur internet.
Les Britanniques ont fait l’amère expérience de la dangerosité de ces groupes en juillet dernier. Pour lutter contre cette menace, il est essentiel de développer de bons services de renseignement et surtout d’intensifier le renseignement humain. Il faut aussi obtenir le soutien des communautés musulmanes et il est nécessaire de bien partager les informations entre les services.
Les arrestations de Toronto démontrent l’importance de ces éléments.
« L’Eurabie est-elle inévitable ? »
Auteur Mai Yamani
Mai Yamani est chercheuse au Royal Institute of International Affairs et du Centre of Islamic and Middle Eastern Law de la School of Oriental and African Studies. Elle est l’auteur de Cradle of Islam.
Sources Daily Star (Liban), Japan Times (Japon), Korea Herald (Corée du Sud)
Référence « Is ’Eurabia’ really inevitable ? », par Mai Yamani, Korea Herald, 19 juin 2006.
« The radicalization of Western Muslims », Japan Times, 19 juin 2006.
« A backward ’Arabia’ in Europe is not inevitable », Daily Star, 21 juin 2006.
Résumé Pourquoi les jeunes musulmans occidentaux sont-ils si susceptibles de se laisser tenter par la radicalisation ? Qui a-t-il en Occident qui pousse une majorité d’entre eux à voir la violence comme une solution à leurs dilemmes politiques et économiques et le suicide comme une récompense et une planche de salut ?
Les jeunes musulmans se considèrent comme membre de la communauté musulmane et ils voient la situation en Afghanistan, en Irak, en Palestine ou en Iran comme des actions anti-islamiques de l’Occident. Les jeunes musulmans britanniques, et dans une plus large mesure, occidentaux, hésitent entre trois attitudes :un comportement laïque et pragmatique qui relègue l’islam dans la sphère privée, une posture conservatrice réconciliant la culture, les liens familiaux et religieux avec la société britannique, ou une réponse radicale à la supposée opposition entre leur nouveau foyer et le monde musulman.
Le wahabisme, largement financé par les Saoudiens, s’exportent à l’Ouest et soutient le développement de la troisième attitude. La Grande-Bretagne n’a compris cela que récemment et a fermé certaines mosquées mais cette politique, manquant de nuances, a été contre-productive. Les politiques intérieures et étrangères sont désormais intimement liées. La meilleure façon d’apaiser les jeunes musulmans est de soutenir les démocrates dans le monde musulman.
« Des meurtriers naturalisés »
Auteur Tzvetan Todorov
Tzvetan Todorov, directeur de recherches au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) de Paris, est l’auteur du récent ouvrage Les Abus de la mémoire.
Sources Daily Star (Liban), Taipei Times (Taïwan), Daily Times (Pakistan), Los Tiempos (Bolivie)
Référence « Asesinos naturalizados », par Tzvetan Todorov, Los Tiempos, 6 juin 2006.
« Needed : a new strategy to contain ’naturalized killers’ », Daily Star, 7 juin 2006.
« The naturalized killers who live in our backyard », Taipei Times, 8 juin 2006.
« Naturalised killers », Daily Times, 10 juin 2006.
Résumé L’arrestation de 17 personnes accusées de terrorisme au Canada met en, évidence la menace qui pèse sur tout l’Occident et nous pousse à nous interroger sur ce que nous savons de ces meurtriers qui vivent parmi nous. Nous connaissons bien sûr les grandes lignes de leur fondamentalisme universel et nous avons une vague idée de ce qu’est Al Qaida, ce réseau décentralisé de cellules présentes dans de nombreux pays, qui cherche à acquérir des arsenaux chimiques, biologiques et peut-être même nucléaires. Nous connaissons aussi les objectifs à long terme de leurs dirigeants : s’emparer du pouvoir dans les États à population musulmane, et pour cela agresser les États qui soutiennent les régimes laïques du monde islamique. Nous savons enfin que les leaders de cette vague de fanatisme ne sont pas très nombreux, mais qu’ils bénéficient aujourd’hui de la sympathie de millions de musulmans ordinaires.
Il y a toujours eu des fanatiques prêts à mourir pour leur cause, mais ils sont aujourd’hui plus dangereux qu’hier du fait de la « démocratisation » des avancées technologiques. Ils bénéficient aussi de nos libertés, de la facilité avec laquelle on voyage désormais et de la possibilités pour les immigrés de s’installer dans les États démocratiques, sans surveillance. George W. Bush en attaquant l’Irak a fait ce qu’il ne fallait pas faire, il a alimenté les fanatismes. Les attentats de Londres et de Madrid ont découlé de la colère que cette invasion a provoquée. En bref, des bombes larguées de plusieurs milliers de mètres d’altitude ne tuent pas moins aveuglément les innocents que des charges explosives placées dans les wagons d’un train. Le reconnaître ne revient pas à chercher des excuses au terrorisme mais à faire le premier pas vers la compréhension de ses causes et donc vers son élimination.
Ce constat nous pousse à admettre que le terrorisme se combat à la fois par des moyens politiques et policiers. Politiquement, il faut évacuer rapidement le territoire irakien et trouver une solution équitable au conflit israélo-palestinien. Sur le plan policier, il faut déployer des efforts plus importants en termes d’infiltration des réseaux et de connaissance approfondie des structures sociales formées par les terroristes afin de bloquer leurs moyens financiers. Il faudra modifier ici ou là l’équilibre toujours instable entre sécurité et liberté mais du fait de la maturité politique européenne, l’Europe est bien mieux armée que les États-Unis pour combattre le terrorisme.
L’Occident peut et doit gagner cette lutte pour la défense des valeurs qu’il chérit. Il se pourrait même qu’il trouve en chemin la nouvelle motivation dont il a urgemment besoin pour consolider son unité en péril.