À l'approche du congrès d'orientations de l'ASSÉ, nous proposons:
Quatre constats et neuf propositions pour l’ASSÉ
CONSTATS
1. Une éducation universelle et gratuite est une condition nécessaire à l’existence de la démocratie. Les individus ne peuvent entrer en rapport critique au monde, prendre en charge le vivre-ensemble et le devenir collectif sans se situer à travers une démarche pédagogique. On ne saurait penser l’existence de l’Éducation hors du lien fondamental qui la lie à la société. Lorsque l’Éducation se transforme, la société se transforme, et inversement. Les problèmes en éducation ne peuvent donc être analysés et compris indépendamment des problèmes qui affectent la société et la démocratie.
2. Le capitalisme avancé réduit l’éducation à la formation de main d’œuvre ultra-flexible. La logique d’accumulation du capitalisme, entrée dans une nouvelle phase d’adaptation, implique l’irruption du capital dans des secteurs d’activité traditionnellement étatiques. Cela implique, entre autres, la régression de l’idéal moderne d’une éducation permettant à tous et toutes, peu importe leur classe sociale d’origine, d’accéder à la maîtrise de la connaissance. Plutôt que de former des citoyens et citoyennes éclairé-e-s capables de comprendre, de transformer et de définir les orientations du monde qui les entourent, l’éducation actuelle forme des individus infiniment adaptables et flexibles, capables de se plier aux exigences fluctuantes d’un mode de production capitaliste emballé.
3. Les fédérations étudiantes corporatistes participent activement à la dénaturation de l’Éducation. Ces organisations n’ont pas de rapport critique au capitalisme et ne visent pas une transformation globale de la société. Elles encouragent la pérénnité d’un système éducatif orienté vers la reproduction du modèle social actuel, basé sur la compétition, l’individualisme et l’exploitation. Au sein de ce système inquestionné, elles se vouent à l’obtention de « gains immédiats », se concevant comme un lobby représentant les étudiants auprès du gouvernement. Leur corporatisme se réduit à la défense immédiate et à court terme d’un « membership » et d’une organisation présentée comme indépendante des transformations socio-politiques qui affectent le reste de la société. Dès ce moment, il est accepté, implicitement ou explicitement, que l’Éducation ne devienne qu’un privilège individuel à faire fructifier sur le marché du travail, et non plus le lieu de la remise en question de l’ordre social. La logique de collaboration des fédérations étudiantes ne peut que se traduire, à terme, par une désintégration de la démocratie et de la citoyenneté.
4. L’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ) s’avère la seule organisation dont le programme et l’analyse permettent de saisir l’ampleur du problème en Éducation et d’y remédier. Néanmoins, telle qu’elle se présente actuellement, L’ASSÉ est incapable d’assurer la mise en place de son programme.
PROPOSITIONS
1. L’ASSÉ doit revoir son interprétation de la diversité des tactiques. La diversité des tactiques doit être comprise comme le fait de respecter les différentes tactiques mises de l’avant lors d’une mobilisation. Cela vaut pour les actions violentes au même titre que les actions pacifiques. Conséquemment, une tactique ne saurait s’arroger la préséance sur une autre sans débat démocratique préalable. En termes de représentation publique, il est légitime de réduire les actions qui peuvent se revendiquer de l’ASSÉ à ce qui a été adopté en congrès. Lors de la préparation d’une action, les détails et les mots d’ordre, notamment vis-à-vis de l’attitude à adopter devant les forces policières, doivent être discutés collectivement. En clair, la diversité des tactiques n’est pas une carte blanche pour n’importe qui souhaitant faire n’importe quoi sous la bannière de l’ASSÉ. Il n’est pas question ici de condamner systématiquement un type de d’action entreprise, mais de s’assurer que ces actions reçoivent l’assentiment d’une majorité des membres pour se réclamer publiquement de l’ASSÉ.
2. L’ASSÉ doit rompre avec une culture de suspicion, de sectarisme et de dogmatisme. L’ASSÉ doit rompre avec une culture de suspicion, de sectarisme et de dogmatisme. Pour une association dont la portée se veut nationale, il n’y a pas lieu de suspecter d’emblée quiconque d’être un adversaire fondamentalement irrécupérable. Le jugement précipité et sans appel, le catalogage et l’étiquetage, supposant de ce qu’une personne est par essence, sans avoir donné à l’autre l’occasion de s’expliquer, contribue à maintenir le caractère exclusif et marginal de l’organisation. En somme, stigmatiser les gens que l’on cherche à convaincre est une attitude incompatible aux objectifs d’expansion du mouvement poursuivis par l’ASSÉ.
3. L’ASSÉ doit reconnaître le droit à la dissidence et l’expression de points de vue pluriels en son sein. Les statuts et les principes fondateurs de l’ASSÉ ne sont pas des vérités absolues. Les traiter comme des dogmes nuit davantage au mouvement qu’il ne favorise son expansion et sa pérennité. C’est dans la réflexion constante et à travers le dialogue avec des personnes de divers horizons que l’on parvient à la construction d’un mouvement large et rassembleur. Au sein de ses organes décisionnels et médiatiques, l’ASSÉ doit encourager la critique et l’autocritique. L’unanimisme est une voie sans issue.
4. L’ASSÉ doit réviser sa stratégie de communication et de relations avec les médias. Un rapport de force ne se crée pas qu’à travers l’action directe. La communication avec la population, les médias et les membres ne doit pas se limiter à un simple reflet des actions entreprises dans la rue. Il s’agit d’une démarche d’information, de persuasion et d’éducation qui dépasse la stricte description de l’agir. Intervenir dans l’espace public implique de prendre acte des relations qui s’y déroulent et des conséquences de ses déclarations, au-delà de la légitimation stricte des actions directes et spontanées. Aucune raison idéologique ne devrait amener l’ASSÉ à faire fi des médias et de leur influence sur la perception que les citoyennes et citoyens ont du mouvement étudiant.
5. La démonisation publique des fédérations étudiantes adverses n’est pas constructive. Malgré leur soumission à la logique dominante, une trop grande énergie consacrée à l’attaque des fédérations étudiantes corporatistes est une attitude strictement négative qui ne construit aucun mouvement durable. Le feu nourri d’attaques entre organisations étudiantes sert davantage le discrédit jeté sur le mouvement que l’avancement des intérêts des membres de l’ASSÉ. C’est sa capacité à convaincre les étudiants qu’elle est la meilleure organisation pour défendre leurs droits qui aidera l’ASSÉ à long terme. C’est par la force de son analyse et ses réalisations concrètes pour les étudiants et étudiantes que l’ASSÉ doit s’efforcer de dépasser les fédérations corporatistes sur leur gauche.
6. Pour transformer la société, l’ASSÉ doit définir des objectifs politiques clairs, à court, moyen et long terme, ainsi que des stratégies et des tactiques pour y parvenir. Développer une stratégie politique sans tenir compte du rapport de force et des conditions qui prévalent dans la société actuelle, malgré la distance entre cette société et l’idéal social proposé par l’ASSÉ, équivaut à faire table-rase du présent, et ainsi se retirer la capacité d’y intervenir efficacement. Dès lors, les actions ne sont plus que des rituels internes qui versent dans la complaisance et l’autosatisfaction sans permettre de construire la force du mouvement. Un choix clair s’impose : ou les membres de l’ASSÉ se constituent en un mouvement révolutionnaire clandestin qui prépare le Grand Soir de la Révolution, ou alors ils s’organisent en un syndicat étudiant de combat dont l’objectif est d’améliorer la condition étudiante, ici et maintenant, tout en travaillant à une transformation globale de la société à moyen ou à long terme. Si les membres font le choix de la première option, que l’ASSÉ cesse dès maintenant de se réclamer du syndicalisme étudiant de combat pour jeter les bases d'une organisation révolutionnaire de masse.
7. L’ASSÉ doit modifier les statuts de son congrès et de son exécutif national. Dans l’optique de susciter la participation active des associations membres, l’ASSÉ doit établir un système de démocratie participative qui suppose que l’exécutif ne puisse déterminer les priorités de l’organisation. L’exécutif doit coordonner la stratégie politique plutôt que de déterminer, formellement ou informellement, la ligne politique de l’organisation. Cela suppose un processus qui dépasse les simples congrès nationaux : la mise en place d’un système de participation, de discussion et de proposition continues au sein du mouvement.
8. L’ASSÉ doit assurer la production de documentation, de recherches et de données sérieuses et scientifiques utilisables dans toutes ses interventions auprès des membres, des médias et de la population. L’ASSÉ doit produire elle-même des analyses crédibles et exhaustives et affecter des ressources en ce sens, plutôt que d’utiliser les données gouvernementales ou celles des fédérations étudiantes corporatistes. Il serait opportun de rallier des membres des associations de cycles supérieurs pour obtenir leur aide dans la production d’études sérieuses sur des questions d’importance pour l’ASSÉ. Mettre en valeur la recherche et la production documentaire est un impératif incontournable dans la construction de la crédibilité de l’organisation et de la force de son analyse.
9. L’ASSÉ doit supporter la création d’alternatives aux partis politiques néolibéraux à tous les paliers gouvernementaux. Les partis politiques traditionnels, comme le PQ, le PLQ et l’ADQ, sont des partisans du néolibéralisme. Leur laisser le champ libre dans le domaine électoral accélère le déploiement d’une logique mortifère de développement de la société mondiale et la destruction de l’Éducation critique. Si l’ASSÉ aspire véritablement à une transformation globale de la société, elle doit offrir son soutien à l’ensemble des mouvements qui font obstacle au rouleau compresseur néolibéral. Remettre en question les paradigmes dominants implique d’investir le champ politique. L’ASSÉ ne saurait parler d’une alliance des mouvements sociaux sans inclure les partis politiques populaires. Sans quoi elle se cantonne sur le mode défensif et réactif face aux avancées incessantes du néolibéralisme.
Guillaume Hébert
Étudiant en science politique à l’UQAM
Gabriel L’écuyer
Ex-membre du comité journal de l’ASSÉ
Éric Martin
Ex-porte-parole national de la CASSÉE
Simon Tremblay-Pepin
Étudiant en science politique à l’UQAM