Quel documentaire des Simard, Marcel et Monique, péquistes notoires!
La thèse de la GRC et de l'anti-indépendance c'est de la bouillie pour chats, car comment expliquer que le mouvement marxiste-léniniste au niveau de la plupart des pays du monde a connu un reflux, et que le ministre péquiste Claude Morin, et cela est prouvé contrairement à d'autres fabulations, a été un informateur direct de la GRC...
Le pire c'est quand on traite des "mouvements sociaux" et l'action des ml au sein de ceux-ci, comment peut-on avancer que les ml contrôlaient de façon non-démocratique les syndicats quand ils et elles défendaient la prise de décision par la base en AG plutôt que par les exécutifs. Ce sont les péquistes favorisant la collaboration de classe dans un projet national qui ont pris le contrôle de la FTQ dès le début des années 1980, la CSN au milieu des années 1980 qui ont mis le corporatisme au poste de commande pour cacher une politique nationaliste et défaitiste pour les prolétaires...
Pour ce qui est de Charles Gagnon, voici un compte-rendu fait par un militant de l'époque et qui milite encore auj., non pas dans les syndicats et les partis réformistes comme c'est le cas pour la plupart des gens que la bourgeoisie, y compris nationaliste, aime entendre sur cette période riche en expériences.
http://www.pcr-rcp.ca/fr/arsenal/2b/L'autre histoire de l'indépendance, de Pierre Dubuc :
Le directeur de L'aut'journal se dévoile
En novembre dernier paraissait aux Éditions Trois-Pistoles un livre intitulé L'autre histoire de l'indépendance. Bien que n'ayant eu que fort peu d'impact à ce jour, ce bouquin s'inscrit dans la foulée d'une campagne qui vise à réhabiliter le nationalisme étroit et à discréditer le mouvement marxiste-léniniste des années 70 qui l'a combattu avec succès, et dont le documentaire Il était une fois... le Québec rouge - un navet anti-communiste largement décrié, y compris par ceux et celles qui lui ont prêté leur concours - a constitué le coup d'envoi. Dans un cas comme dans l'autre, leurs auteurs souhaitent ouvertement ramener la gauche québécoise au sein du PQ.
L'auteur du livre, Pierre Dubuc, est le directeur et rédacteur en chef de L'aut'journal, un mensuel indépendantiste publié depuis maintenant près de 20 ans au Québec. Tout au long de cette période, Dubuc, qui possède ses entrées notamment à la CSQ, s'est fait l'ardent défenseur de la ligne nationaliste dans le mouvement syndical ainsi que de la stratégie électoraliste, en opposition à toute rupture avec le parlementarisme bourgeois. Ainsi, Dubuc et L'aut'journal ont été à l'initiative de la mise sur pied du RAP (le Rassemblement pour une alternative politique) en 1998, et éventuellement de l'Union des forces progressistes (l'UFP) qui a rattaché les forces du RAP à celles du Parti de la démocratie socialiste (l'ex-NPD-Québec) et du Parti communiste du Québec à l'été 2001.
Toutefois, lors des élections générales du 14 avril dernier à l'occasion desquelles l'UFP faisait campagne pour la première fois avec près de 75 candidates et candidats, Pierre Dubuc a commencé à prendre ses distances avec ce parti. Sans doute avait-il anticipé l'amère défaite que l'UFP allait subir, elle qui n'a réussi que de justesse à atteindre la barre du un pour cent des suffrages exprimés. À l'évidence, Dubuc a tout simplement décidé de quitter le navire, dont il a pourtant été l'un des architectes, avant qu'il ne coule.
Quelques mois plus tard, les choses sont désormais plus claires : Dubuc a officiellement rompu avec l'UFP et il se présente maintenant comme étant le chef de fil d'un nouveau mouvement qui vise à ramener la gauche (les éléments les plus modérés de l'UFP, notamment) au sein du PQ. Le numéro daté décembre 2003-janvier 2004 de L'aut'journal consacre ainsi ses pages centrales à une honteuse entrevue qu'il a réalisée avec Bernard Landry, dans laquelle il lui fait dire que le PQ souhaite justement réunir « la grande famille des progressistes québécois ». Puis, à la mi-janvier, Pierre Dubuc a commencé à faire circuler auprès de ses principaux contacts un appel visant à la mise sur pied d'un « club politique » qui regrouperait les « syndicalistes et progressistes » qui voudront comme lui prendre (ou renouveler ?) leur carte du PQ.
La thèse défendue par Dubuc et sur laquelle il s'appuie pour justifier sa position actuelle, c'est que la gauche québécoise aurait commis une erreur monumentale en refusant d'investir le Parti québécois au début des années 70, comme l'ancien felquiste Pierre Vallières le lui avait proposé. Son livre s'attarde surtout sur ce qui s'est passé en 1972 - une année qu'il identifie comme étant un moment-charnière de l'histoire du Québec moderne, où on retrouve « la genèse des grands courants politiques qui marqueront la vie politique du Québec des 30 dernières années ».
Dubuc attire notre attention sur deux événements qui se sont produits en 1972 et qui, selon lui, ont fortement marqué le mouvement indépendantiste : le débat entre Vallières et Charles Gagnon sur le bilan du FLQ et les perspectives de la « révolution québécoise », d'une part ; puis l'entrée au PQ de Claude Morin, qui allait éventuellement jouer un rôle très important au sein du premier gouvernement péquiste tout en agissant en parallèle comme informateur auprès de la GRC...
Ces deux événements, selon Dubuc, ont procédé d'un seul et même « complot fédéraliste », voire essentiellement policier (bien qu'il n'arrive pas à les rattacher à une source précise). Son livre est surtout fait d'une impressionnante quantité d'anecdotes, dont la plupart étaient par ailleurs déjà connues, qui sont au mieux amusantes mais dont il est impossible, en l'espèce, de tirer quelque conclusion sérieuse que ce soit quant à l'évolution du mouvement national et de la lutte des classes au Québec.
Comme bien d'autres avant lui, Dubuc utilise la méthode de la conception policière de l'histoire, où la découverte et le repérage des complots et intrigues réalisés par tel ou tel individu remplacent et disposent de l'analyse des rapports sociaux réellement existants, des classes et de la lutte des classes. S'il incline parfois à laisser entendre qu'il est « marxiste », Dubuc n'a certainement jamais étudié Marx, de sorte à le comprendre ; il l'a au mieux appris, comme on apprend une série de règles ou de formules toutes faites auxquelles on peut se référer au besoin pour justifier telle ou telle position politique, et quand bien même ça n'a rien à voir. Son livre en fait une sorte de « Normand Lester des pauvres » (disons plutôt, de l'aristocratie ouvrière) - une espèce d'éboueur qui fouille dans les poubelles de l'histoire pour n'en ressortir que ce qui peut servir à renforcer le point de vue de la classe qu'il défend (en l'occurrence, celui des couches supérieures de la classe ouvrière et de la petite bourgeoisie nationaliste, dont l'existence et les privilèges dépendent de l'État québécois). Leur succès se mesurant à la quantité de merde qu'ils réussissent à brasser, il arrive souvent que ce genre de fouineurs en viennent à utiliser leurs propres déjections, de façon à ce que le tas qu'ils nous livrent soit on ne peut plus impressionnant. Dubuc n'a clairement pas échappé à cette règle.
L'autre histoire de l'indépendance est un ouvrage vite fait, si on en juge par le grand nombre de coquilles qu'on y trouve (des paragraphes entiers se répètent, dont un à au moins trois reprises) et par une typographie pour le moins bâclée. Il ne mériterait certes pas qu'on s'y attarde, si ce n'est qu'il fait référence à des événements et surtout à des organisations relativement peu connues de la jeune génération militante actuelle, pour qui d'ailleurs la question nationale québécoise apparaît assez justement comme étant une « contradiction secondaire » dans la société canadienne, et qui pourrait se sentir interpellée par les racontars de Dubuc. Voilà pourquoi avons-nous jugé bon d'y consacrer cet article.
Un retour sur le schisme Vallières-Gagnon
Après la Crise d'octobre et l'essoufflement de la stratégie mise de l'avant par le Front de libération du Québec (FLQ) au cours des années 60, Pierre Vallières publie, fin 1971, un livre intitulé L'urgence de choisir dans lequel, comme le rappelle Dubuc, l'ex-felquiste « prône l'abandon de la théorie du foyer révolutionnaire » et préconise l'entrée au sein du Parti québécois. Malgré l'échec, durement ressenti par ceux et celles qui s'en étaient fait les promoteurs, de la stratégie felquiste, le contexte général de l'époque restait encore marqué par une forte radicalisation des luttes, non seulement nationales, mais aussi syndicales et populaires, et par l'adhésion de centaines de militantes et de militants à des points de vue plus avancés, voire marxistes et révolutionnaires, même si tout ça demeurait généralement assez confus. Ainsi, la position exprimée par Vallières - Dubuc en convient - représentait « tout un revirement pour quelqu'un qui avait jusque-là dénoncé l'électoralisme et voyait dans le développement du nationalisme "petit-bourgeois" québécois poindre l'ombre du fascisme ».
Un des rares porte-parole publics du FLQ, Vallières, accompagné de son camarade Charles Gagnon, avait atteint une grande notoriété au milieu des années 60 après avoir manifesté devant le siège des Nations unies à New York pour y revendiquer le statut de prisonniers politiques pour les membres du FLQ. Les deux compères avaient alors été arrêtés pour ensuite être déportés, non sans avoir passé plus de quatre mois dans une prison états-unienne.
De retour à Montréal, les deux militants sont tout de suite capturés par la police. Après une année d'attente, rappelle Dubuc, « Vallières subit finalement son procès sous l'accusation d'homicide involontaire de Thérèse Morin, secrétaire à l'usine Lagrenade, tuée lors de l'explosion de la bombe placée par le FLQ ». Il est trouvé coupable et condamné à perpétuité. Éventuellement, la Cour d'appel ordonnera la tenue d'un nouveau procès et Vallières verra sa sentence commuée à 30 mois. Il obtiendra sa remise en liberté provisoire le 26 mai 1970. De son côté, Charles Gagnon passe 27 mois en taule avant d'être enfin jugé : le jury étant incapable de rendre un verdict, on ordonne la tenue d'un nouveau procès, mais les accusations finiront par être abandonnées avant que le processus ne se rende à terme.
Pendant qu'il était en prison, Pierre Vallières met en outre la dernière main à un bouquin qui paraîtra en 1968 et qui connaîtra un grand succès : c'est le fameux Nègres blancs d'Amérique, qui tente de donner un contenu plus social au mouvement nationaliste.
Au moment où éclate la Crise d'octobre, Vallières et Gagnon sont donc en liberté; ils sont toutefois rapidement renvoyés « en-dedans » suite aux rafles qui ont suivi la proclamation de la Loi des mesures de guerre par le gouvernement Trudeau, pour n'en ressortir que quelques semaines plus tard.
La nécessité évidente de procéder au bilan de près de 10 années d'activités menées dans le cadre et au nom du FLQ amène Vallières et Gagnon à emprunter deux sentiers totalement opposés : alors que Vallières, on l'a vu, en appelle à la fin de la violence et au ralliement au PQ (qui avait obtenu, rappelons-le, 23 % des suffrages aux élections générales d'avril 1970 et qui pouvait ainsi prétendre au statut de parti de masse), Gagnon rompt avec le FLQ et sa stratégie nationaliste, non pas pour embrasser un point de vue pacifiste, mais au contraire pour se rallier à la perspective de la révolution socialiste. En réponse à Vallières, il publie en octobre 1972 un pamphlet intitulé Pour le parti prolétarien qui aura, en fin de compte, autrement plus d'impact que L'urgence de choisir.
Le mouvement m-l : un développement fulgurant
En effet, et comme le déplore Dubuc, « l'appel de Vallières ne sera pas entendu ». Cela, Dubuc l'explique non pas par le fait que la gauche radicale et les militantes et militants ouvriers les plus conscients étaient déjà bien plus avancés politiquement que ce que pouvait offrir le projet péquiste (du fait de leur propre expérience, accumulée au cours des années mouvementées qui avaient précédé), mais tout simplement parce que Vallières lui-même, sur lequel il tombe soudainement à bras raccourcis (après avoir pourtant encensé l'énorme qualité de son analyse politique), s'est mis en retrait de la vie politique pour se livrer à certaines pratiques contre-culturelles largement partagées à l'époque (vie en « commune » et homosexualité, notamment), que Dubuc semble juger hautement condamnables.
L'appel de Gagnon, au contraire, arrive à point nommé et rejoint parfaitement les préoccupations des militantes et militants les plus aguerriEs. Les deux grandes organisations marxistes-léninistes créées au cours des années 70 - le groupe En Lutte ! (fondé par Gagnon) et la Ligue communiste (marxiste-léniniste) du Canada (mieux connue comme étant « la Ligue » et qui allait plus tard se transformer en Parti communiste ouvrier) - rassemblent très rapidement plusieurs centaines, voire quelques milliers de militantes et de militants. Elles jouiront d'une influence considérable, non seulement parmi les couches militantes déjà politisées, mais aussi plus largement, parmi les masses prolétariennes.
Ces organisations, on le sait, finiront par disparaître au tournant des années 80 (en juin 1982 dans le cas d'En Lutte ! et en janvier 1983 pour ce qui est du PCO), pour des raisons sur lesquelles nous ne nous attarderons pas nécessairement dans le cadre de cet article (mais sur lesquelles nous reviendrons éventuellement, dans un cadre ou un autre).
Dubuc soulève un tas de critiques à leur encontre, dont certaines sont valables, même si la plupart relèvent surtout de la fantaisie. Ainsi, Dubuc critique-t-il avec une certaine pertinence les orientations et pratiques « économistes » du mouvement m-l, bien qu'il les attribue principalement à En Lutte ! alors qu'en réalité, elles ont surtout été le fait de la Ligue et du PCO (En Lutte ! avait au contraire développé une assez forte critique de sa « rivale », à cet égard). Dubuc ramène également une bonne dénonciation de la funeste « théorie des trois mondes » (une stratégie développée par Deng Xiaoping et par les révisionnistes en Chine qui proposait une alliance des pays du tiers-monde et du prolétariat international avec les pays capitalistes intermédiaires comme le Canada pour combattre les « deux superpuissances » états-unienne et soviétique, et qui fut même éventuellement adaptée pour inclure la possibilité d'une alliance avec l'impérialisme U.S. dans le but de combattre l'unique social-impérialisme soviétique, vu comme étant plus « agressif » que le premier). Encore là, Dubuc, qui en fait décidément une fixation, attribue erronément la promotion de cette théorie contre-révolutionnaire au groupe En Lutte !, alors que celui-ci l'a pourtant répudiée - ce qui lui a d'ailleurs valu éventuellement d'être « ex-communié » (si on peut dire) par la Ligue.
Mais dans l'ensemble, les critiques portées par Dubuc, qui restent éparses et généralement anecdotiques, ne viennent que pimenter ce qui constitue l'essentiel de sa « thèse ». L'auteur reprend ainsi à son compte la « grande découverte » avancée par le cinéaste péquiste Marcel Simard dans son documentaire Il était une fois... le Québec rouge, paru en septembre dernier, et qui veut que le mouvement m-l des années 70 ait été créé de toutes pièces par la police dans le cadre d'un énorme complot ayant pour but de saboter le mouvement indépendantiste, dont le triomphe eût autrement été inéluctable.
Dubuc, tout comme Simard, part de faits connus et qui ont d'ailleurs été admis par les organisations et les individus concernés, comme par exemple le fait qu'En Lutte ! ait été infiltré dès le départ par un informateur - François Séguin - qui fut éventuellement dévoilé par la Commission Keable, formée par le gouvernement péquiste pour faire la lumière sur certaines activités de la GRC sur le territoire québécois. Il n'ose toutefois pas s'avancer quant au rôle que Séguin a pu réellement jouer dans le développement de la ligne politique et la pratique d'En Lutte !, encore moins quant à savoir s'il a pu, d'une manière ou d'une autre, l'infléchir dans un sens, disons, plus « fédéraliste ».
Ainsi relatée, l'affaire Séguin, comme telle, ne constitue rien de plus qu'une simple anecdote. Il est vraisemblable, au demeurant, que ce triste individu fut loin d'être le seul flic à frayer, de près ou de loin, avec les organisations m-l (la Ligue n'en a certes pas été à l'abri non plus). En fait, le contraire eût été surprenant.
La surveillance, l'infiltration, la provocation et le sabotage font partie de l'arsenal déployé par les forces de répression pour écraser ou neutraliser les groupes « subversifs ». Ce fut le cas de tout temps, et ce l'est encore aujourd'hui. Le dire, et rappeler qu'En Lutte ! en a été victime ne mène strictement à rien, à défaut d'analyser les conséquences réelles que ça a eu, et surtout la manière dont on y a fait face. Pour Dubuc, le rappel de cette affaire, largement connue, n'est qu'un moyen de semer le doute sur la légitimité de l'action politique des organisations m-l.
De la même manière, lui et Simard ramènent le fait que bon nombre des militants radicaux qui ont constitué ou se sont joints au mouvement m-l avaient fait leurs classes dans les divers « comités d'action politique », eux-mêmes issus des multiples comités de citoyens ayant pullulé dans les milieux populaires au tournant des années 70. Comme par hasard, relèvent-ils, ces comités de citoyens avaient pour beaucoup d'entre eux bénéficié du financement dans le cadre du programme appelé « Perspectives-Jeunesse », mis en place par le gouvernement fédéral. Il n'y a certes là aucun lien de cause à effet, mais nos pourfendeurs du mouvement m-l espèrent ainsi semer un doute de plus. (Mais alors, que penser du fait que Dubuc ait lui-même bénéficié, par le biais de son éditeur, du financement du Conseil des arts du Canada et du ministère du Patrimoine de Sheila Copps - Sheila Copps ! - pour pouvoir sortir son bouquin anti-communiste ?)
Autre élément du « dossier » constitué par Dubuc : la GRC a admis avoir émis de faux communiqués au nom du FLQ, dont un en particulier (en 1971) utilisait un « style maoïste » (il y était écrit que « le pouvoir est au bout du fusil » - cette célèbre citation de Mao qui était aussi un des slogans fétiches du Black Panther Party aux États-Unis), ce qui « prouverait », ni plus ni moins, l'existence d'une sorte de filiation entre la police et les maoïstes.
Cela, sans parler du fait qu'une des trois organisations qui allaient s'unir pour fonder la Ligue en 1975 avait elle-même été créée, quatre ans plus tôt, par un groupe d'étudiants de la très fédéraliste et méchamment anglophone Université McGill (il s'agissait d'un groupe d'étudiants majoritairement francophones, en fait, dont plusieurs avaient en outre été directement impliqués dans la lutte pour un « McGill français » en 1968 - mais ça, Dubuc ne le précise pas...) ; tandis que les deux autres étaient des « petits groupes implantés dans le sud-ouest de Montréal » - où là aussi, on le sait trop bien, il y a toujours eu pas mal d'anglos et autres « détestables » Irlandais...
Toujours parlant de cette noble institution (à savoir l'Université McGill), Dubuc nous raconte aussi qu'après la mort de Mao et la prise du pouvoir par Deng Xiaoping en Chine, des enseignants de cette même université ont servi d'intermédiaires auprès d'un des capitalistes canadiens les plus fédéralistes qui soient (Paul Desmarais) pour l'inciter à faire des affaires dans ce pays, désormais ouvert au capital étranger. La même université, rappelle-t-il, où sept ans plus tôt, les étudiants qui ont formé un des groupes qui allaient donner naissance à la Ligue étaient basés (une Ligue qui elle-même allait ensuite être reconnue officiellement par le Parti communiste chinois !). McGill devient donc, aux yeux de Dubuc, le centre d'un complot où la naissance et le développement du mouvement m-l auraient été délibérément et minutieusement planifiés pour nuire à la cause indépendantiste. (La relation entre ces deux événements est ainsi écrite noir sur blanc à la page 99 de son livre.)
Enfin, et puisqu'on n'en est plus à un racontar près, y paraîtrait même que, toujours selon Dubuc, le dirigeant albanais Enver Hoxha aurait raconté dans ses mémoires que la Chine aurait soutenu financièrement la formation de groupes maoïstes un peu partout à travers le monde. « Nous ne savons si ce fut le cas pour la Ligue », écrit Dubuc, mais « cela aurait très bien pu se faire par le biais [du] Centre d'études est-asiatiques »... de l'Université McGill (eh ! oui, le même organisme qui a courtisé Paul Desmarais !). Dubuc avoue candidement qu'il n'en sait strictement rien, mais il n'hésite pas à porter un jugement définitif, à force de grossiers sous-entendus.
On pourrait penser que l'auteur allait s'arrêter là, mais voyez encore cette anecdote, qui vient elle aussi « appuyer » sa thèse : aux pages 145 et 146, Dubuc explique qu'à son avis, la position constitutionnelle du PCO (qui se résumait pour l'essentiel à un appel à la formation de deux républiques autonomes - une pour le Québec et une autre pour le Canada anglais - réunies dans le cadre d'un État fédéral) s'inspirait de la « théorie des deux peuples fondateurs » élaborée en 1903 par Henri Bourassa. Ce qui, « au passage » écrit-il, aurait rapport avec le fait que l'arrière petite-fille de ce dernier (Danielle) « siégeait au Comité central du PCO » (C.Q.F.D.) !
Décidément, on voit que l'esprit de l'ami Dubuc déborde d'une imagination telle que lui non plus ne s'est vraisemblablement jamais remis de certaines de ces « pratiques contre-culturelles » qu'il abhorre tellement et qui ont tant marqué les années 70 (comme d'autres avant lui, il prétendra peut-être n'avoir jamais rien inhalé, mais force est d'admettre qu'il en a respiré du solide !).
Le « coup fatal » à l'endroit du mouvement m-l, repris quoique plus timidement par Dubuc, avait déjà été porté par Marcel Simard, on s'en souviendra, dans son film sur le « Québec rouge » [1]. Pour le cinéaste, la « preuve ultime » du fait que tout ça n'était finalement qu'un vaste complot fédéraliste et policier destiné à saboter le PQ, c'est qu'une fois le premier référendum sur la souveraineté défait en 1980, les deux grandes organisations m-l, En Lutte ! et le PCO, ont toutes deux été dissoutes (respectivement en 1982 et en 1983), puisque que la bourgeoisie fédéraliste n'en avait plus besoin. Faut croire que la GRC avait le bras long quand on pense qu'en fait, ce sont près d'une centaine d'organisations marxistes-léninistes qui ont connu le même sort à peu près au même moment et ce, d'un bout à l'autre de la planète...
Toutes ces élucubrations sont évidemment plutôt risibles et assez divertissantes en soi (c'est pour ça, d'ailleurs, qu'on vous les raconte en détails : comme ça, vous n'aurez pas besoin d'acheter son livre pour en profiter vous aussi). Mais en sautant ainsi d'une coïncidence ou d'une anecdote à l'autre et en les additionnant pour former un « tout », Dubuc, tout comme Simard, en arrive à prétendre avoir développé une « théorie » - un échafaudage en fait - qu'il croit solide mais qui ne repose que sur du vent. Évidemment, c'est bien plus simple d'éventer tel ou tel « complot » et d'égratigner au passage quelque bouc émissaire (Charles Gagnon, en l'occurrence) que d'analyser la situation réelle et d'essayer de comprendre pourquoi, politiquement, le mouvement marxiste-léniniste, avec sa ligne anti-nationaliste et sa forte critique à l'endroit du PQ, a-t-il justement pu se développer et gagner une telle influence, en particulier au Québec ?
Moins fou que Simard, Dubuc admet, jusqu'à un certain point, que « les manipulations policières n'expliquent pas tout » et qu'il faut aussi « prendre en considération la base sociale de ces organisations », si on veut comprendre comment il se fait qu'elles ont pu avoir autant d'impact. Dubuc tente de se l'expliquer par « leur composition essentiellement petite-bourgeoise » et par une pénétration « extrêmement faible » dans la classe ouvrière. Mais Dubuc ne s'appuie sur rien pour justifier ses dires, et il n'hésite pas à travestir la réalité.
Car le fait est que même si les organisations m-l n'ont jamais réussi à rallier la majorité de la classe ouvrière à leurs points de vue (si ça avait été le cas, c'est qu'il y aurait eu une situation révolutionnaire et ça se serait su), elles ont néanmoins réussi à s'implanter de manière hautement significative au sein du prolétariat (syndiqué et non-syndiqué, « de souche » et immigrant), et dans plusieurs centres industriels importants (sur la Côte-Nord, en Abitibi, au Saguenay-Lac St-Jean, dans la région de l'amiante, le Suroît et la grande région de Montréal, notamment).
Que ces organisations aient été mises sur pied et dirigées principalement par des petits-bourgeois et qu'elles n'aient pas réussi (si tant est qu'elles l'aient jamais souhaité) à renverser les rapports de domination traditionnels entre dirigeants et dirigéEs, entre intellectuels et ouvriers, et entre hommes et femmes ne change rien au fait qu'elles ont effectivement réussi à rejoindre et à « fusionner » avec les préoccupations et les aspirations les plus profondes de centaines et de milliers de militantes et de militants des milieux ouvriers et populaires.
Comme le rappelle avec justesse une ancienne sympathisante d'En Lutte ! qui y est allé d'un commentaire bien senti dans le cadre d'un dossier spécial sur le film de Simard paru dans un journal communautaire de la ville de Québec (Droit de parole, novembre 2003) :
« À cette époque, il n'y avait pas que le nationalisme québécois sur notre planète. Les militants m-l étaient interpellés par les grandes inégalités mondiales et ils étaient de toutes les solidarités avec les peuples opprimés contre leurs oppresseurs. [...] Comme les altermondialistes d'aujourd'hui, nous cherchions des solutions pour casser l'immense cercle vicieux de l'exploitation de l'homme par l'homme. Nous nous sentions Chiliens, Salvadoriens, Nicaraguayens, Chinois, et aussi Québécois. »
Pour répondre correctement à la question de savoir pourquoi les organisations m-l ont réussi à gagner en popularité, il eût fallu que Dubuc se livre à une analyse politique sérieuse de l'évolution de la question nationale au Canada, des rapports de classes au sein même de la nation québécoise comme dans l'ensemble de la société canadienne. Quel rôle, justement, le PQ a-t-il joué dans la détermination de ces rapports ? Comment le capitalisme s'est-il développé au Québec ? Comment la bourgeoisie francophone en émergence a pu et a su profiter du mouvement de libération nationale et utiliser le puissant appareil d'État québécois (un État qui à défaut d'être pleinement indépendant, jouit néanmoins de larges pouvoirs) pour se consolider et gagner sa place dans le cadre du capitalisme canadien ?
Là-dessus, Dubuc a choisi de platement s'arrêter à l'analyse faite par Vallières en 1971 (« l'édification d'un capitalisme national par une société comme le Québec [...] est une impossibilité économique et politique », écrivait-il dans L'urgence de choisir), et il a dès lors cessé de réfléchir.
Le cas de la Commonwealth Plywood
Parmi les nombreux événements et les « faits » relatés par Dubuc, nous tenons à nous attarder un peu plus sur le cas de la Commonwealth Plywood, présenté par l'auteur comme étant un autre exemple d'alliance entre le mouvement m-l, la police et le gouvernement fédéral pour affaiblir le PQ.
Commonwealth Plywood est une entreprise québécoise spécialisée dans la transformation du bois en contre-plaqué, dont le siège social était (et est toujours) situé à Ste-Thérèse, une petite ville industrielle de la banlieue nord de Montréal.
Le 30 août 1977, les ouvriers et ouvrières de son usine de Ste-Thérèse, justement, obtiennent leur accréditation auprès d'un nouveau syndicat affilié à la CSN. Quelques jours plus tard, le propriétaire, William Caine, met à pied pas moins de 118 travailleurs et travailleuses, dont plusieurs femmes et immigrantEs, parmi lesquels on retrouve l'ensemble des membres de l'exécutif syndical. Caine refuse toute négociation avec le syndicat. Il va même jusqu'à signer une convention collective-bidon avec l'ancien syndicat jaune.
Les travailleurs et travailleuses votent alors la grève et entreprennent une lutte qui s'étendra sur plus de deux années et se terminera finalement par une défaite. Leur bataille marquera la CSN et tout le mouvement syndical québécois ; c'est pendant cette grève, notamment, que le gouvernement du PQ adoptera sa loi dite « anti-scab » (qui ne sera toutefois d'aucune utilité pour les grévistes de la Commonwealth).
Dès le début du conflit, les travailleuses et les travailleurs font face à la répression : injonctions qui limitent à trois le nombre de piqueteurs ; utilisation massive et systématique des scabs ; arrestation, condamnation et emprisonnement de nombreux grévistes, qui se voient en outre imposer de lourdes amendes (tout comme la CSN elle-même, d'ailleurs) ; menaces de déportation contre les travailleurs et travailleuses immigrantEs ; et ainsi de suite. Chaque jour, les scabs entrent dans l'usine dans des camions conduits et protégés par les flics de la SQ et poursuivent la production, comme si de rien n'était. La lutte des syndiquéEs de la Commonwealth devient rapidement un enjeu pour tout le mouvement ouvrier québécois.
La CSN lance donc une grande campagne de solidarité avec les grévistes (c'est ainsi que les choses se passaient, à cette époque pourtant pas si lointaine...). Trois fois par semaine (et non à tous les jours comme l'écrit Dubuc), des militantes et militants viennent renforcer les lignes de piquetage en solidarité avec le syndicat local, qui en a bien besoin.
La LC(m-l)C (c'était avant la création du PCO) participe avec enthousiasme à cette campagne, à laquelle elle se joint de façon autonome (i.e. sur ses propres bases et avec ses propres outils de mobilisation), tout en se coordonnant avec les militantes et militants syndicaux. Les assemblées et manifestations de soutien se multiplient. Le 24 février 1978, pas moins de 2 500 personnes prennent la rue à Ste-Thérèse, à l'appel de la CSN, et se rendent aux portes de l'usine. Les lignes de piquetage se durcissent et s'avèrent de plus en plus efficaces. À la demande expresse de l'exécutif du syndicat local et de son président, Gérald Gagné, la Ligue mobilise ses militantes et militants une fois par semaine pour venir renforcer les piquets. Voici ce qui s'est passé le 20 mars 1978, tel que rapporté dans les pages du journal La Forge (publié par la Ligue) :
« C'est le 20 mars. Il ne fait pas encore jour. En rangs serrés, 150 personnes approchent de la Commonwealth Plywood, se divisent en groupes, encerclent l'usine. Ils dressent immédiatement des lignes de piquetage, infranchissables. D'autres viennent les rejoindre au cours de la matinée. Des sentinelles se placent le long de la voie ferrée et bloquent toutes les issues possibles.
« Les policiers n'osent pas bouger. Ils restent assis dans leur voiture, frappés par la force, le nombre et l'enthousiasme des piqueteurs. Dès qu'ils entendent : "Non aux scabs, non aux fiers-à-bras, non à la répression !", les scabs restent à l'écart. Quant aux cheminots du Canadien Pacifique, ils refusent de franchir les piquets de grève, et retournent les cinq wagons de bois destinés à la Commonwealth.
« Le piquetage du 20 mars s'est poursuivi jusque dans l'après-midi. L'usine est restée silencieuse toute la journée. C'est la première fois que les grévistes, avec l'aide de la Ligue, des travailleurs de la région de Montréal, des étudiants, professeurs et chômeurs, ont réussi à complètement bloquer la production. »
La police s'organise et s'implique de plus en plus dans le conflit. Avec les fiers-à-bras embauchés par W. Caine, elle intervient violemment et régulièrement pour ouvrir les lignes et faire entrer les scabs. Comme de raison, le bras de la justice s'allonge lui aussi pour venir en aide à celui qui apparaît de plus en plus comme symbolisant l'arrogance de toute la classe des capitalistes.
Ainsi, le 18 avril, les patrons de la Commonwealth obtiennent une injonction qui ordonne à la CSN de mettre fin au piquetage de ses propres membres mais aussi de « tout autre groupe ou individu » ; de ne plus tenir de manifestations ni de publier quelque information que ce soit sur le conflit (!) ; et de faire paraître des annonces publicitaires dans les journaux montréalais pour faire connaître les termes de l'injonction.
Entretemps, l'exécutif du syndicat local demande à la Ligue de l'aider à organiser une ligne un peu plus dure, qui saura freiner les ardeurs des flics.
Le 19 avril au matin, i.e. au lendemain même de l'obtention de la fameuse injonction, 200 personnes se retrouvent donc devant l'usine, dès 4h30, et réussissent à refouler les flics venus charger les manifestantes et manifestants. Pendant la nuit, la Ligue et la CSN avaient chacune remplie deux autobus bondés de militantes et de militants pour monter à Ste-Thérèse. Une trentaine de grévistes de la Commonwealth s'étaient joints à elles et à eux pour former une ligne rigoureusement infranchissable.
Après un premier affrontement lors duquel les flics ont essuyé une bonne raclée, les grévistes - dont la plupart ont déjà été arrêtéEs et sont en liberté conditionnelle - quittent les lieux en douceur, à la demande même des autres militantes et militants, question de les protéger. Au bout d'une heure, il n'y a toujours pas de scabs en vue et la CSN renvoie ses militantes et militants par autobus vers Montréal. Un peu plus tard, un détachement formé par environ 150 flics de la SQ se pointe, encercle les militants et militantes qui restent (essentiellement, donc, ceux et celles qui ont été mobiliséEs par la Ligue) et procède à une arrestation de masse. Pas moins de 85 personnes seront transférées à la prison de St-Jérôme, et ensuite au quartier général de la SQ à Montréal (rue Parthenais) pour se voir accusées de « participation à une émeute » et de « port d'armes dangereuses ».
Le lendemain, les journaux font leurs manchettes de ces arrestations. Le Journal de Montréal présente à la « une » la photo d'un casque de flic fendu en deux, apparemment par un coup de gourdin, surmontée du titre : « Huit policiers blessés ». Le ministre péquiste du Travail, Pierre-Marc Johnson, en profite pour dénoncer « les forces extérieures aux rangs des syndiqués », qu'il identifie comme étant « des voyous et des troubleurs de société ». C'est le début d'une grande campagne anti-communiste qui trouvera d'ailleurs écho au sein de la CSN. Dirigée par le péquiste Norbert Rodrigue, la centrale applique en effet d'énormes pressions sur le syndicat local et le Conseil central des Laurentides (qui le soutient) pour que les lignes de piquetage soient abandonnées et que les grévistes attendent plutôt les résultats d'une éventuelle médiation, qui ne cessera jamais de s'éterniser.
Quelques semaines plus tard et alors que se déroule le congrès national de la CSN à Montréal, des membres de la Ligue réussissent néanmoins à convaincre au-delà de 300 déléguéEs de se rendre à Ste-Thérèse devant l'usine de la Commonwealth. Le 7 juin au matin, elles et ils font face à une charge encore plus violente de la part de la SQ, qui utilise les gaz lacrymogènes et frappe sans ménagement les syndiquéEs. Huit d'entre eux sont arrêtés. De retour sur le plancher du congrès, quelques heures plus tard, une déléguée rapporte : « Je n'oublierai jamais ce que j'ai vu. C'était la première fois que ça m'arrivait. J'ai été étouffée par les gaz, j'ai vu des hommes et des femmes tomber et crier. Je suis une militante péquiste. Eh ! bien, c'est fini pour moi le PQ. Fini ! » Le congrès décide alors d'appuyer toutes les personnes arrêtées, y compris celles qui l'avaient été le 19 avril.
Et alors, que retient Pierre Dubuc de toute cette histoire ? Encore une fois, il trouve le moyen de ramener le tout à une question de complot et de machination policière. Selon lui, le principal objectif de Caine et des capitalistes était non pas de vaincre les ouvrières et ouvriers, mais de déstabiliser le PQ et la CSN (celle-ci parce qu'elle était trop sympathique à l'indépendance). Ayant saisi tout ça, la « direction fédéraliste » de la Ligue se serait alors « immiscée » dans le conflit (même si, comme on l'a vu, elle y est intervenue à la demande même du syndicat local) et aurait volontairement « provoqué » les flics pour leur donner un prétexte pour pouvoir ensuite frapper sur les déléguéEs de la CSN, ce qui allait les amener à rompre avec le PQ, à moins de deux ans de la tenue du référendum... « Preuve » que le tout procédait bel et bien d'un complot, c'est qu'au lendemain de la charge des flics de la SQ contre les déléguéEs CSN, « La Presse de Power Corporation faisait sa manchette » avec les événements de la veille (comme tous les autres médias d'ailleurs, eux qui ne ratent jamais l'occasion de parler de ce genre de choses dès lors où il y a de la violence).
Il faut préciser que cette lumineuse analyse (!) n'est en réalité pas tout à fait nouvelle : elle avait déjà été présentée, dès l'époque, par un obscur petit groupe appelé l'Union bolchévique du Canada (UB), dont Dubuc faisait justement partie (nous y reviendrons un peu plus loin). S'agitant sans cesse et frénétiquement au sujet de la présence de la Ligue à Ste-Thérèse, ce groupe avait réussi à s'attirer les suspicions de nombreux militants et militantes. Il nous vient d'ailleurs en mémoire un épisode assez réjouissant qui s'était produit dans un Cégep de la région de Montréal (le Cégep de Maisonneuve, pour ne pas le nommer), où étudiaient quelques militantEs de la Ligue ayant été arrêtéEs dans le cadre des événements du 19 avril.
Un beau matin du mois de mai, les valeureux camarades de la dite « Union » s'y étaient pointés pour installer leur kiosque de désinformation et distribuer un tract dénonçant les « provocateurs » de la Ligue, qui avaient méchamment osé s'attaquer aux flics. Mal leur en prit, toutefois, alors qu'en l'absence des militantEs de la Ligue retenuEs ailleurs, ce sont des dizaines d'étudiants et d'étudiantes, outréEs par ces accusations sans fondement, qui leur ont prestement indiqué la porte de sortie et se sont assurés que leurs tracts prennent le chemin de la poubelle (les bacs de recyclage n'avaient malheureusement pas encore été inventés à ce moment-là). À défaut d'en avoir été personnellement témoin, nous ne pouvons confirmer si Dubuc lui-même faisait partie des victimes ; mais si tant est que ce fut le cas, il n'aura certes obtenu que ce qu'il méritait.
Indépendamment de ce que nous pouvons penser aujourd'hui de la Ligue et d'En Lutte !, et en particulier des faiblesses et des insuffisances de leurs lignes idéologiques et politiques respectives, la campagne menée par la Ligue en solidarité avec les ouvrières et ouvriers de la Commonwealth Plywood doit être considérée pour ce qu'elle est, à savoir une des belles pages de l'histoire du mouvement révolutionnaire au Québec, autant par la façon dont elle a été conduite que de par le merveilleux exemple de cet esprit de « servir le peuple » qu'elle nous livre encore aujourd'hui.
Une méthode qui pourrait nous mener loin !
Même s'il consacre une bonne centaine de pages au mouvement m-l des années 70, L'autre histoire de l'indépendance ne contient bizarrement qu'une brève mention de l'existence d'un troisième groupe, outre En Lutte ! et le PCO, dont l'auteur faisait pourtant partie. Apparu publiquement pour la première fois en 1977, ce groupe (l'Union bolchévique) s'est fait une spécialité de critiquer, voire d'injurier systématiquement les deux autres organisations - en particulier En Lutte ! et son secrétaire général Charles Gagnon. Pierre Dubuc n'y fait référence qu'une seule fois, en page 94, lorsqu'il écrit, à l'adresse justement d'En Lutte ! et de Gagnon, que ceux-ci auraient dû dénoncer ce qu'il appelle la fumisterie de la Ligue, étant donné que l'analyse critique des positions de la Ligue « avait [déjà] été présentée à la direction d'En Lutte par l'Union bolchévique, un petit groupe marxiste » (dont on n'apprendra par la suite rien de plus). Pourtant, son livre reprend l'essentiel des thèses et des points de vue naguère développés par l'UB, quasi textuellement d'ailleurs, tant sur En Lutte ! et le PCO qu'en ce qui a trait à la question nationale québécoise.
Malgré sa petite taille, l'Union bolchévique a produit une énorme quantité de littérature sur les deux principales organisations m-l. Elle publiait en outre un magazine mensuel, appelé Révolution prolétarienne, ainsi qu'une revue théorique épisodique mais assez volumineuse, sous le titre de Lignes de démarcation. Tout au long de son histoire, qui s'est étendue - publiquement à tout le moins - de 1977 à 1984, l'Union bolchévique n'a développé aucun programme ni produit aucune analyse des classes de la société canadienne. Sa réflexion sur la stratégie révolutionnaire et les possibilités de construire le socialisme dans le contexte du Canada s'est avérée d'une parfaite vacuité, tout simplement parce qu'elle fut inexistante. Il va sans dire que l'UB n'a pas avancé d'un iota dans le développement d'une pratique révolutionnaire cohérente.
En fait, l'essentiel de son action et de sa contribution au débat politique se trouve dans la critique, systématique, qu'elle n'a jamais cessé de faire d'En Lutte ! et du PCO et que Dubuc a reprise dans son bouquin. Passant d'une défense à une condamnation sans appel de Mao (suivant en cela la polémique lancée par le Parti du travail d'Albanie contre le Parti communiste chinois en 1977), l'UB n'a pas pris de temps pour ensuite rompre à son tour avec Enver Hoxha et finalement se rattacher à une défense absolue, unilatérale et anti-marxiste de Staline, qui finit par tourner au ridicule.
En 1980, après avoir initialement rejeté le mot d'ordre d'indépendance du Québec, l'UB opère un autre de ses nombreux tournants et mène campagne, dans le cadre du référendum sur la souveraineté, sous le mot d'ordre : « Votons oui ! Démasquons le PQ ! » (il y avait là une « subtilité » sur laquelle il serait ici un peu trop long de s'attarder...).
D'aucuns se demanderont ce qu'il est advenu de ce groupe, surtout après la disparition des autres organisations m-l en 1982-1983 ?
Ceux et celles qui ne jurent que par la méthode de la conception policière de l'histoire (tiens ! que voilà donc un beau contrat pour Normand Lester) pourraient peut-être nous éclairer quant à savoir pourquoi ce groupe est-il soudainement apparu, sortant de nulle part, en 1977, justement après qu'En Lutte ! et la Ligue eurent tous deux connu un développement spectaculaire qui en avait fait deux organisations potentiellement fort redoutables, à tout le moins sur papier ? Si, comme l'affirme Dubuc, ces organisations constituaient une épine plantée en plein cœur du projet péquiste, on pourrait facilement imaginer que le PQ, qui jouissait désormais du pouvoir d'État à Québec, allait certes manœuvrer pour tenter de les neutraliser.
Et si la GRC, de son côté, possédait ses services de renseignement et déployait toute son « intelligence » pour prévenir ce qu'elle percevait comme étant une menace aux intérêts de la grande bourgeoisie canadienne, la Sûreté du Québec, quant à elle - l'ex-police provinciale qui postulait désormais au rang de grand corps policier d'un véritable État -, pouvait certes en faire autant, du point de vue des intérêts qu'elle était chargée de protéger... Bref, tout ça pourrait nous mener tout aussi loin que les méandres dans lesquels Dubuc aime à entraîner ses lectrices et lecteurs.
Le fait est que tandis que la disparition d'En Lutte ! et celle du PCO sont du domaine public (elles se sont produites au terme de congrès où tous les points de vue, y compris ceux des partisans de la dissolution, se sont clairement exprimés), on n'a jamais su ce qu'il est advenu de cette fameuse Union bolchévique, ni non plus de la nouvelle « Internationale communiste » qu'elle a même prétendu un temps avoir créée avec un groupe marxiste-léniniste turc et quelques organisations africaines méconnues.
Tout ce qu'on sait à ce propos, c'est que le numéro daté novembre-décembre 1983 de son magazine Révolution prolétarienne annonçait la « suspension temporaire » de la dite publication, pour quelques semaines, le temps de faire le bilan et de préparer de nouveaux projets. « Cette décision, pouvait-on lire, [n'était] nullement le résultat d'une sorte de crise interne comme ce fut si souvent le cas dans la gauche ces derniers temps, ni d'un empêchement matériel quelconque. » Le communiqué faisait ensuite référence à la possibilité de « créer un journal ouvrier pour éduquer la classe ouvrière et l'organiser en prévision de la lutte ». On nous promettait enfin un résumé de cette discussion « dans le prochain numéro » du magazine, qui n'est finalement jamais paru. Cinq mois plus tard (le 1er mai 1984) apparaissait toutefois le premier numéro de L'aut'journal, entièrement écrit, produit et diffusé par l'équipe qui autrefois constituait le petit noyau de cette fameuse « Union ».
Y a-t-il eu un congrès, ou une autre réunion de quelque nature que ce soit, où la décision de dissoudre l'Union bolchévique aurait été prise ? Si oui, pourquoi a-t-on jugé qu'elle n'avait plus de raisons d'exister ? Parce que le marxisme-léninisme n'était plus valide ? Parce qu'un parti léniniste n'était plus pertinent ? Ou est-ce seulement le fait qu'En Lutte ! et le PCO ayant été dissous, l'UB n'avait plus rien à dire et à faire et qu'en quelque sorte, sa « tâche principale » était désormais accomplie ?
Pierre Dubuc s'est toujours caché pour éviter de répondre à ces questions. Il s'est réfugié derrière le projet de L'aut'journal, se dissimulant parmi une cohorte d'éléments ultra-nationalistes et anti-communistes qu'il a fini par rallier autour de lui - les Émile Boudreau et autres Jean-Claude Germain - et où il a continué à œuvrer pour répandre sa ligne nationaliste étroite.
Un « marxisme » de convenance, au service d'un nationalisme dépassé
Comme nous l'avons déjà mentionné, Dubuc aime parfois laisser entendre qu'il est marxiste (pas si souvent, mais ça arrive). Mais son « marxisme » est on ne peut plus figé et s'avère totalement inapte au développement d'une pratique révolutionnaire conséquente dans le contexte du Québec et du Canada. Pour Dubuc, le système capitaliste mondial - l'impérialisme - est aujourd'hui exactement au même point où il était il y a un siècle. Le partage du monde par les grandes puissances ayant été complété au début du XXe siècle, il est inconcevable, d'après lui, qu'il se soit produit depuis lors quelque changement ou modification significative que ce soit : toutes les nations opprimées le sont restées au même titre ; et toutes les nations oppressives de même. C'est ce qu'il nous explique, assez laborieusement au demeurant, aux pages 123 à 125 de son livre.
Le Canada, explique-t-il, a été construit sur la base de l'oppression nationale (ce qui en soi est exact). Mais pour lui, celle-ci est restée pareille, du même ordre et au même niveau, sans qu'il y eut jamais quelque changement qualitatif que ce soit. Il cite à nouveau Vallières et sa thèse de 1971 voulant que l'édification d'un capitalisme national soit impossible au Québec. Dubuc ne peut accepter l'idée que la bourgeoisie francophone ait pu marquer des points, à travers la guerre économique et politique qu'elle a livrée et qu'elle continue de livrer contre le prolétariat et contre les autres secteurs de la bourgeoisie (et les bourgeoisies des autres pays impérialistes) qui lui font concurrence. Au point où elle a pu réussir, notamment en prenant le contrôle et en dirigeant un appareil d'État qui n'est certes pas manchot, à s'intégrer et à faire valoir ses intérêts à l'intérieur même des cercles de la grande bourgeoisie impérialiste canadienne.
Selon Dubuc, ce qu'on a appelé le « Québec inc. » n'est en réalité qu'un « mythe inventé par des journalistes torontois ». Il admet à mots feutrés l'existence de grands monopoles mondiaux comme Québecor ou Bombardier (auxquels il faudrait aussi ajouter Hydro-Québec) mais dit que ça ne change rien à la justesse du point de vue de Vallières, tout en avouant du même coup ne pas pouvoir s'appuyer sur une analyse plus fouillée du contrôle de l'économie québécoise par le capital québécois et étranger.
Dubuc s'en prend avec véhémence aux chercheurs en sciences sociales, qui ont fait disparaître toute référence à la question nationale et ne s'intéressent plus qu'aux différences de sexe et d'orientation sexuelle. Mais ses propres références, à cet égard, ne nous donnent aucune indication pertinente quant à l'évolution de l'oppression nationale au Québec. « Le taux de locataires est beaucoup plus important au Québec qu'en Ontario ou dans le reste du Canada », rappelle-t-il, sans aller plus loin ni se demander si cet écart a eu tendance à se creuser ou à s'amenuiser depuis 30 ans. (La vérité est que selon les plus récentes données publiées par la Société canadienne d'hypothèque et de logement, l'écart entre le taux de locataires au Québec et en Ontario est passé de 15,5 % qu'il était en 1971, à 9,9 % en 2001 ; par rapport à l'ensemble du Canada, il est passé de 12,9 % à 7,9 % au cours de la même période.)
Dubuc note aussi « une différence d'espérance de vie de 13 ans entre Westmount, habité majoritairement par des anglophones, et Hochelaga-Maisonneuve, majoritairement francophone », sans prendre la peine de mentionner qu'un écart tout aussi significatif peut être établi entre le quartier de l'Île-des-Sœurs, habité majoritairement par des riches francophones, et celui de Pointe St-Charles, où on retrouve plus de 30 % d'anglophones et où 35 % de la population vit de l'aide sociale : dès lors, il ne s'agit plus tant d'une différenciation sur une base nationale que d'une différenciation de classe typique.
Là-dessus, la pensée et l'analyse de Dubuc retardent complètement, il faut le dire, sur celles des maoïstes qu'il exècre tellement mais qui ont le mérite de faire, parfois, cette chose simple qu'on appelle « l'analyse concrète de la situation concrète » (et que les gens liés à l'Union bolchévique avait coutume de qualifier de « vulgaire pragmatisme » chez Mao). Pour notre part, nous avons traité de cette question de l'évolution de la question nationale québécoise dans une série d'articles parus dans l'ex-revue SOCIALISME MAINTENANT ! [2], qui sans prétendre aucunement qu'ils ont fait tout le tour de la question, ont néanmoins clairement établi que la question nationale n'était pas chose immuable et que la bourgeoisie dont le pouvoir est matérialisé par l'État québécois, est désormais pleinement intégrée dans la grande chaîne des pays impérialistes.
En fait, le « marxisme » de Dubuc n'est rien de plus que du populisme bas-de-gamme. Dans un des paragraphes les plus révélateurs de son livre (à la page 88), il traite de la question des relations entre l'économie et la politique, le capitalisme et la démocratie, et pose les questions suivantes : « Comment expliquer que la minorité de possédants puisse imposer sa volonté alors que nos gouvernements sont élus au suffrage universel où chaque vote est d'égale valeur ? Comment s'exerce la toute puissance du capital ? » Auxquelles il répond ainsi : « C'est d'abord par la corruption des fonctionnaires et des hommes politiques que s'impose le pouvoir de l'argent. Le capital alimente la caisse des partis politiques. Il soudoie les fonctionnaires avec ses activités de lobbying. »
Ainsi, selon lui, la démocratie bourgeoise et le système parlementaire sont des mécanismes neutres et justes, dont les résultats sont tout simplement dévoyés par la corruption (encore une fois, c'est la théorie des complots qui revient à la charge...). Comme s'il suffisait de faire le ménage et d'adopter des politiques anti-corruption (telle que la loi péquiste sur le financement des partis politiques, que le gouvernement Chrétien a d'ailleurs reprise à son compte il y a quelques mois à Ottawa) pour mettre fin à la « toute puissance du capital » ! Dubuc biffe donc d'un seul trait toute la question de la superstructure, de rôle de l'État comme appareil idéologique, celui du système d'éducation, de l'appareil judiciaire, de la police, de l'armée... Bref, il s'agirait de faire porter la vindicte populaire uniquement sur les politiciens et les fonctionnaires corrompus et détestables, et d'appuyer ceux qui au contraire sont justes, honnêtes et remplis de bonnes intentions (comme « Saint »-Bernard Landry !) pour renverser le pouvoir de la « minorité de possédants ».
Ce à quoi Dubuc veut nous amener, tout bêtement - et tel est l'objectif essentiel de son livre -, c'est à la défense pure et simple du PQ et de son projet d'indépendance, auquel il propose désormais de se rallier. Pendant près de 20 ans, le directeur de L'aut'journal a louvoyé et dissimulé sa politique capitularde derrière une façade « ouvrière » : ce faisant, il a pu tromper à l'occasion certains militants anti-capitalistes honnêtes mais influencés par le nationalisme. Dorénavant, il sera impossible de les voir, lui autant que son journal, comme étant autre chose qu'un instrument du PQ et de sa vieille politique de collaboration de classes qui a fait son temps et dont il faut se débarrasser, au plus sacrant.
Les prochaines semaines et les prochains mois seront marqués par un important débat au sein de la gauche québécoise sur la voie à suivre pour aller de l'avant. Les partisanes et partisans de l'UFP peuvent difficilement continuer à prétendre représenter une alternative sérieuse et crédible face au gouvernement Charest. Et dans la mesure où ils resteront enchaînés à une stratégie électoraliste s'inscrivant dans le cadre du parlementarisme bourgeois, bien des militants de la gauche traditionnelle ne pourront faire autrement que de suivre le courant, animé par Dubuc mais aussi par les hautes directions syndicales et les secteurs plus modérés réunis autour de Françoise David et de la coalition D'abord solidaires, qui les ramènera 30 ans en arrière, dans le giron du PQ. Fin politicien d'ailleurs, le chef péquiste en salive déjà.
Mais il existe parallèlement une autre voie, qui s'appuie sur l'expérience historique des 30 dernières années (et même plus encore), qui participe d'une rupture réelle, totale et complète avec le système de domination de la bourgeoisie, et surtout qui en prépare la mise en œuvre. Cette perspective, qui est la nôtre et qui est celle que nous défendons, nous souhaitons en débattre ouvertement avec tous ceux et toutes celles qui refuseront de naviguer dans les eaux troubles du PQ et de la bourgeoisie nationaliste.
Un grand admirateur du général de Gaulle
Parlant du mouvement contre-culturel auquel s'est joint Pierre Vallières en 1972, Pierre Dubuc écrit que « de façon générale, on a tendance à qualifier Mai 68 et le mouvement Peace and love d'événements progressistes ». Mais selon lui, « ce point de vue est contestable ». Ainsi, « d'un point de vue politique et idéologique, les choses sont moins évidentes. Au plan politique, il faut rappeler que Mai 68 s'est traduit par le départ du Général de Gaulle, le seul opposant à la politique américaine au sein des grandes puissances non communistes. [...] D'un point de vue idéologique, la principale mouvance de Mai 68 a donné naissance au mouvement maoïste français dont le rôle principal a été de s'attaquer au Parti communiste français et d'apporter un soutien à la politique pro-américaine de la Chine. » On retrouve encore là l'ombre des « complots » chers à Dubuc. De là à penser que tout ce mouvement a été imaginé et manipulé par l'impérialisme U.S. uniquement pour servir ses intérêts, il n'y a qu'un pas, que Dubuc n'ose pas franchir parce que ce serait trop grossier, mais qu'il laisse entendre, sans le dire clairement, selon sa méthode désormais habituelle. Landry - de Gaulle - Dubuc : même combat ! C'est on ne peut plus édifiant.
Un ex-militant de la LC(m-l)C et du PCO