de Jevi006 le Sam Mai 05, 2007 3:13 am
Anarchisme 101
Brian Myles
Édition du samedi 05 et du dimanche 06 mai 2007
Mots clés : Fédération des travailleurs du Québec, vandalisme, anarchisme, Violence, Syndicalisme, Québec (province)
«Des anarchistes», a laissé tomber le président de la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ), Henri Massé, lorsque huit jeunes ont brièvement occupé son bureau mardi avant d'être délogés par des fiers-à-bras du syndicat particulièrement habiles avec une scie circulaire. La remarque a indigné certains anarchistes, qui en ont soupé d'être associés à la casse dans les médias de masse.
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Elle est étudiante à la maîtrise en philosophie, mère de famille, anarchiste fâchée contre Henri Massé au point de l'envoyer paître... mais certainement pas violente, contrairement à ce qu'a laissé croire le président de la FTQ cette semaine en faisant un amalgame facile entre anarchisme et vandalisme. Louise Caroline Bergeron est une anarchiste qui n'en peut plus que ce mouvement humaniste soit associé à la casse.
Mme Bergeron a sursauté lorsque le président de la FTQ, Henri Massé, a qualifié d'anarchistes les militants qui ont envahi son bureau mardi lors de la Journée internationale des travailleurs. La jeune femme n'a rien à voir avec cet «incident» qui s'est soldé par l'expulsion manu militari des jeunes par des membres de la FTQ-Construction. Pour la postérité, rappelons que ces intellectuels de la scie circulaire ont découpé la porte du bureau de leur chef avant de mettre la main au collet des militants. Ils les ont cloués au sol, tirés par les cheveux et expulsés du siège social de la FTQ sans que personne, d'un côté comme de l'autre, porte plainte à la police.
L'accusation de M. Massé, reprise dans les médias de masse, a fait bondir Mme Bergeron. «L'anarchisme et la casse, pour moi, ça ne rime pas ensemble», explique-t-elle en entrevue. La perception du public à l'égard de l'anarchisme est «pandémique» au Québec, au point de confondre vandales, anarchistes-citoyens ordinaires, manifestants pacifistes et parfois même militants syndicaux, déplore-t-elle. «L'idée de l'anarchisme est à repenser. Il y a des mères là-dedans aussi. On a des enfants et on les allaite. On n'a pas le temps d'aller briser des vitres!», lance Mme Bergeron, qui s'est fait connaître du public il y a quelques années à titre de cofondatrice du Club Compassion, un organisme faisant la distribution de marijuana à des fins thérapeutiques.
D'ailleurs, l'idée de saccager un bureau ou de casser des fenêtres ne sied guère à cette anarchiste convaincu pour qui l'engagement social et politique se fonde sur le rejet de toute forme de tutelle. «En brisant des fenêtres, ils contribuent au capitalisme. Y a quelqu'un qui va s'enrichir en réparant la vitre», fait remarquer Mme Bergeron.
Célébrée à travers le monde tous les 1er mai, la Journée internationale des travailleurs a pourtant ses racines dans la rencontre -- très ironique -- de l'anarchisme et du syndicalisme.
Le 1er mai 1886, bien avant l'invention de la scie circulaire et de la semaine de quatre jours, une puissante vague de grèves mobilise les syndicats de travailleurs en Amérique du Nord. L'enjeu principal de ce mouvement, particulièrement vivace à Chicago, est la réduction de la journée de travail à huit heures.
Le 4 mai suivant, une manifestation tourne au bain de sang au Haymarket Square, dans la Ville des vents, quand l'explosion d'une bombe fait huit morts parmi les policiers. Même si l'auteur de l'attentat ne sera jamais identifié, les autorités imputent la responsabilité de cette tragédie aux huit militants anarchistes qui ont organisé le rassemblement. Quatre d'entre eux sont pendus, un cinquième se suicide en prison. Les trois autres sont graciés sept ans après les faits par le nouveau gouverneur de l'Illinois, John Peter Altged, qui rétablit par le fait même l'innocence de ces huit anarchistes.
Réunie à Paris en 1889, l'Internationale socialiste consacre le 1er mai Fête des travailleurs partout dans le monde en souvenir des «martyrs de Chicago» et de la lutte ouvrière pour la journée de huit heures.
Normand Baillargeon, professeur à l'UQAM et essayiste, a perçu dans l'association de M. Massé entre anarchisme et vandalisme une ignorance flagrante de la filière anarcho-syndicaliste. «M. Massé devrait connaître un peu l'histoire du syndicalisme lui-même. Il saurait à ce moment-là que le mouvement syndical n'a jamais été aussi intéressant et fort et inspirant que lorsqu'il s'appelait l'anarcho-syndicalisme», explique M. Baillargeon, véritable bibliothèque ambulante sur la question de l'anarchisme.
Selon M. Baillargeon, ce n'est pas un hasard si les militants de la gauche ont choisi d'occuper les bureaux d'un président de centrale syndicale. «Ils sont certainement déçus du mouvement syndical. C'est pour ça que les anarchistes, à chaque 1er mai, font une marche distincte de celle des mouvements syndicaux depuis quelques années. Ils leur reprochent leur manque de combativité et de vision», estime-t-il.
En entretien au Journal de Montréal et à La Presse, les huit militants sauvagement expulsés du bureau de M. Massé ne se sont pas identifiés comme des anarchistes. Tout au plus ont-ils indiqué qu'ils s'étaient rencontrés lors de la grève étudiante de 2005, qu'ils faisaient partie d'une organisation éphémère et circonstancielle et qu'ils étaient altermondialistes et anticapitalistes. Ils perçoivent la FTQ et son président comme les rouages d'une «grosse machine impérialiste».
Ce n'est d'ailleurs pas la première fois que des militants de gauche ont maille à partir avec les «forces de l'ordre» de la FTQ. L'année dernière, lors de la Fête du 1er mai, des jeunes et des membres de la FTQ s'étaient bousculés, angle Sainte-Catherine et Saint-Denis, à Montréal, sans que la police sente le besoin d'intervenir.
Le mouvement syndical est «sclérosé», c'est-à-dire qu'il ne porte plus de projet social, estime Normand Baillargeon. Il s'agit du fondement de sa relation de discorde avec la gauche. «Le mouvement syndical est entré dans une logique purement adaptée au capitalisme. Il est dans une logique de défense des droits des travailleurs, mais ça fait très longtemps qu'il n'a pas défendu des idées neuves.»
Selon M. Baillargeon, les frictions entre anarchistes et syndicalistes devraient servir de leçon à Henri Massé. «Il devrait être attentif à ces voix-là, qui nous rappellent à quel point le mouvement syndical s'embourbe aujourd'hui, croit-il. Il ferait bien d'écouter les critiques qui viennent de sa gauche parce qu'elles pourraient être inspirantes pour un mouvement qui manque pas mal d'inspiration.»
Dans un texte publié récemment dans la revue sociale et politique À bâbord, M. Baillargeon et Chantal Santerre suggéraient au mouvement syndical de revenir à l'esprit des «bourses du travail». À la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, ces bourses réunissaient tous les syndicats d'une région donnée au sein d'une autre organisation, parallèle et distincte. Au lieu de porter les intérêts corporatistes des syndicaux (défense des droits, amélioration des conditions de travail, etc.), ces bourses cherchaient à former une classe ouvrière autonome. Elles étaient porteuses à la fois d'une solidarité de proximité (une solidarité de classe) et d'une émancipation des travailleurs des rapports de tutelle.
C'est le propre du courant anarchiste. Sous la surface hooliganienne que les médias veulent bien exposer, tout grouille d'activité. «Il y a un foisonnement politique dans le monde anarchiste. C'est comme une pépinière de pensée, explique Louise Caroline Bergeron. Comme dans n'importe quoi, il y a des caves qui se revendiquent de tout, mais l'anarchie et la casse, c'est pas plus vrai que le sport et la casse ou même le syndicalisme et la casse.»
Sans nier les épisodes violents qui ont plombé le courant anarchiste à certains moments de son histoire, Normand Baillargeon en réitère les fondements: un projet social et politique porté par des êtres humains prenant leur vie en main dans un monde autogéré où il n'y a ni marché, ni rapports de domination, ni profit. «Il y a certainement des gens qui vont faire des gestes plus violents et plus revendicateurs. Mais il y en a dans le mouvement syndical aussi», dit-il, tranchant... comme une scie.
Le Devoir
Geneviève Gariépy, étudiante à l'UQAM.
"Si je ne peux pas danser, je ne prendrai pas part à votre révolution" Emma Goldman