http://www.ledevoir.com/2008/04/07/183932.htmlOpinion
Libre opinion - «Je me souviens» d'un projet pour l'éducation...
Gabriel Dufour et Charles Beaudoin-Jobin, Étudiants au baccalauréat en sociologie à l'Université de Montréal
Guy Rocher, Professeur titulaire au département de sociologie de l'Université de Montréal
Édition du lundi 07 avril 2008
Dans l'histoire des universités québécoises, la décennie 1960 a marqué un virage à 180 degrés, comme ce fut d'ailleurs le cas pour bien d'autres institutions. En ce qui a trait aux universités, c'est du début de cette décennie que date le financement par l'État québécois d'une grande partie des budgets de fonctionnement et d'immobilisation des universités. C'est à cette même période que s'est enclenché le processus de laïcisation des universités de Montréal, Laval, Sherbrooke et de l'Université du Québec.
Mais, surtout, cette décennie a vu s'engager la démocratisation du système d'enseignement du Québec et des universités, qui a consisté à offrir la possibilité d'étudier le plus longtemps possible à toutes celles et tous ceux qui le veulent, qui en ont le goût, les aptitudes, la motivation. Cette démocratisation s'est poursuivie au cours des quarante dernières années avec une certaine constance, mais non sans luttes, et en bonne partie grâce aux revendications et à la mobilisation du mouvement étudiant. Mais l'accessibilité aux études supérieures demeure un acquis fragile. Elle est actuellement attaquée de toutes parts. Ainsi, outre le dégel des droits de scolarité, nous assistons depuis quelques années à une volonté de la part des administrations universitaires d'augmenter de façon importante les frais afférents.
Dérive universitaire
Au-delà de simples considérations financières, nous croyons que ces deux augmentations ne sont que des effets d'une dérive importante de la sphère universitaire. Nous sommes témoins de l'apparition d'un lien étroit entre la sphère économique et le monde de l'éducation postsecondaire. Ainsi, il semble que les universités soient de plus en plus définies selon une vision utilitariste de l'éducation soumise à une logique de marché où les professeurs sont considérés comme des fournisseurs de services et les étudiants comme des clients qu'il faut satisfaire.
En conséquence, les femmes et hommes politiques, le ministère de l'Éducation et les administrations universitaires se comportent comme s'ils géraient une entreprise privée soumise aux «lois du marché» dont l'objectif est d'augmenter sa rentabilité. Cette recherche de profits, encouragée par les plus hautes autorités politiques, amène une multitude de décisions d'investissements discutables (campus satellites) occultant la communication interuniversitaire au profit de compétiteurs égoïstes.
De plus, cette représentation de l'université a des conséquences importantes sur la qualité de l'enseignement. Les étudiants sont maintenant considérés comme des «crédits» qu'il faut recruter, spécialiser et diplômer le plus rapidement possible. En fait, nous sommes témoins d'un processus d'instrumentalisation du savoir, la valeur de ce dernier n'étant plus considérée en fonction de la compréhension du monde qu'il permet mais plutôt de l'emploi auquel il donne accès. Est donc mise de côté la valorisation de la curiosité intellectuelle au profit de la formation de diplômés «employables». L'université ne semble plus se préoccuper de former des citoyens critiques capables de saisir les enjeux planétaires actuels, mais de futurs employés efficaces.
Un problème de démocratisation
Ces représentations de l'éducation postsecondaire posent deux problèmes importants par rapport à la question de la démocratie au Québec. Premièrement, les politiques de type «entrepreneuriale» sont imposées à toute la population du Québec sous le couvert de la nécessité, sous l'égide du bon sens et du raisonnement «lucide».
Si nous prenons l'exemple de l'Université de Montréal, les frais afférents semblent inévitables pour le bon fonctionnement de l'université. Au moment où celle-ci force une contribution supplémentaire de la part des étudiants de l'ordre d'un peu plus de deux cents dollars par année (additionnés à la hausse gouvernementale de l'ordre de 500 $ à terme), elle achète pourtant des immeubles à grands coups de millions (gare de triage, couvent des Soeurs des Saints Noms de Jésus et de Marie) qui demeurent vacants.
La question se pose: les politiques de l'Université de Montréal (un exemple parmi tant d'autres) de même que celles du gouvernement du Québec reflètent-elles réellement le seul chemin possible pour l'éducation ou représentent-elles une idéologie allant à l'encontre d'une meilleure accessibilité? Où est la place de la démocratie dans ce Québec de plus en plus guidé par des raisonnements comptables? On ne le répétera jamais assez, c'est une question de société, et non pas une «simple formalité» qui relève d'un conseil d'administration. Ne pas impliquer le peuple dans ce choix de société important revient à dire que celui-ci n'a qu'un rôle de spectateur dans le théâtre technocratique québécois.
Inégalités sociales
Le deuxième problème par rapport à la démocratie, c'est que la hausse des droits de scolarité ne vient que renforcer le problème de l'accessibilité et, du même coup, la division entre les Québécois. Car si l'éducation a été démocratisée, les inégalités sociales, elles, n'ont jamais disparu.
Subséquemment, dans cette ère où la pensée économique libérale domine le monde et incite à la compétition au détriment de la coopération, soumettre le système scolaire au marché c'est le spécialiser à court terme, et le détériorer à long terme; avec pour seul résultat possible une réduction de la «biodiversité» intellectuelle.
Nous touchons ici au rôle que l'on veut donner à l'éducation et au rôle que le gouvernement doit assurer pour réaliser cet objectif. Dans un régime démocratique, le système scolaire est un vecteur important de l'égalité des chances entre individus parce qu'il permet une mobilité sociale. Nous croyons que tout le monde a droit à une éducation supérieure indépendamment de son statut social.
Veut-on que notre société soit dirigée par les valeurs du peuple québécois ou par les «impératifs» des marchés mondiaux? Accepter cette ingérence, c'est se dire qu'il faut laisser les entreprises se charger de notre éducation et que la «main invisible» s'occupera du reste...