Mais qui donc veut des baisses d'impôt?
Alain Noel, Professeur titulaire au département de science politique de l'Université de Montréal
Le Devoir
Édition du mercredi 18 juillet 2007
Dans les jours qui ont suivi la présentation du budget 2007-2008, le ministre de la Santé et des Services sociaux, Philippe Couillard, s'est étonné de l'opposition d'une majorité de Québécois aux baisses d'impôt substantielles annoncées par le premier ministre.
«C'est quasiment un cas de laboratoire, affirmait-il, il faut s'excuser pour pouvoir baisser les impôts [...], on n'a pas vu ça beaucoup ailleurs.» Le sondeur Jean-Marc Léger allait dans le même sens, en parlant d'une première dans l'histoire, qui amènerait ses collègues étrangers à s'exclamer: «Mais ils sont fous, ces Québécois!»
La tendance de l'opinion était en effet très claire. Lorsqu'ils devaient choisir entre des baisses d'impôt et une amélioration des services en santé et en éducation, 27 % seulement des Québécois indiquaient une préférence pour la première option, contre 70 % en faveur de la seconde.
Plusieurs commentateurs ont associé ce résultat au fait que 40 % des contribuables québécois ne paient pas d'impôt sur le revenu et n'auraient donc guère intérêt à voir ces impôts diminuer. Cet argument apparaît toutefois douteux.
D'abord, le pourcentage de contribuables québécois qui n'est pas imposé est supérieur à la moyenne canadienne, mais pas au point de créer «un cas de laboratoire» et d'expliquer les préférences de sept Québécois sur dix. Ensuite, personne ne le dit jamais, mais la moitié (48 % en 2004) de ces contribuables qui ne paient pas d'impôt ont des conjoints. Ils ont donc de bonnes chances de vivre dans un ménage qui paie de l'impôt. Un cinquième de ces contribuables non imposés (18 %) a par ailleurs moins de 25 ans. Parmi ceux-ci, un bon nombre se préparent probablement à payer de l'impôt durant plusieurs années. Et puis, bien sûr, il y a les plus de 65 ans, qui représentent le quart (26 %) des contribuables non imposés et qui, pour la plupart, ont plusieurs années de contributions derrière eux.
L'histoire des 40 % qui ne paient rien est donc largement une construction rhétorique pour évoquer l'image d'une large frange de profiteurs qui tirent avantage des efforts des autres sans jamais contribuer et pour disqualifier symboliquement une bonne part de ceux qui s'opposent à des baisses d'impôt.
Cette histoire ne correspond d'ailleurs pas à l'expérience concrète des petits salariés, qui savent bien que le seuil d'imposition nulle est rapidement atteint. Pour une personne seule au Québec, ce seuil est rejoint lorsque les revenus de travail arrivent à 14 528 $.
Même la gauche s'emmêle dans cette histoire. Dans un texte récent, Marc Laviolette et Pierre Dubuc, du SPQ libre, reprennent le même pourcentage pour souligner que les contribuables non imposés paient tout de même des taxes de vente, et pour déplorer qu'autant de Québécois soient trop pauvres pour payer des impôts.
En y pensant un peu, ce diagnostic n'est pourtant pas très plausible. Le Québec, en effet, ne compte pas 40 % de pauvres. En fonction de l'indicateur choisi, on parle plutôt de 10 % à 12 % de personnes en situation de pauvreté. C'est certainement trop, mais on se situe quand même bien en deçà de quatre personnes sur dix.
La réalité est plus simple: les baisses d'impôt ne constituent pas la priorité de la majorité. Le constat n'est d'ailleurs pas nouveau. Un sondage réalisé à l'automne 2001 par la commission Séguin indiquait déjà la forte préférence des Québécois pour une amélioration des programmes sociaux plutôt que pour des baisses d'impôt.
Cette préférence a d'ailleurs des fondements rationnels. Comme le montre Luc Godbout dans une étude préparée pour le CIRANO, le Québec a déjà baissé les impôts de façon significative entre 1992 et 2002, faisant davantage à cet égard que les autres provinces canadiennes (sauf l'Alberta), et se situant avantageusement parmi les pays du G7. On pourrait aller plus loin dans ce sens, concluait Godbout, mais il faudrait être certain de pouvoir préserver l'équilibre budgétaire.
Or, cet équilibre est loin d'être assuré. Ce n'est qu'à la faveur d'une bonification de la péréquation, qui ne sera pas nécessairement récurrente, et tout en peinant à maintenir des services publics de qualité, que le gouvernement Charest a pu offrir des baisses d'impôt. Après deux ans de débats sur le déclin démographique et l'endettement, et alors même que le gouvernement envisage le recours au privé pour maintenir des services de santé dont les coûts seraient impossibles à soutenir, on peut comprendre les électeurs d'être sceptiques.
En somme, la réaction des citoyens apparaît plus cohérente que déroutante. À tout prendre, c'est plutôt la situation inverse qui aurait été étonnante. L'attitude ambivalente des Américains par rapport aux baisses d'impôt massives proposées par George Bush entre 2001 et 2004 est comparativement bien plus intrigante. Les politologues débattent encore pour savoir si les électeurs ont été incohérents, mal informés ou trompés par les élus.
En comparaison, les Québécois apparaissent somme toute raisonnables. Ils s'inquiètent simplement davantage de la pérennité des services publics que du niveau de leurs impôts personnels.
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Ce texte est tiré de la revue Options politiques,
http://www.irpp.org