Article que j'ai publié dans le journal Karactère de novembre... un peu mal écrit, mais surement matière à débat...
Un Québec corporatiste… et demain,
le fascisme?
Étienne Simard // Étudiant à la maîtrise en développement régional
Le corporatisme moderne est une doctrine politique inventée au XIXe siècle, en réaction contre la concurrence (libéralisme) et la lutte des classes (marxisme) dans la société capitaliste. S’opposant à ces deux modes de régulation politique, le corporatisme prône à l’origine l’organisation des intérêts de la société dans des corporations professionnelles ou sectorielles (selon le secteur économique), les «grands corps de la société», comme cela se faisait au MoyenÂge. L’idée était d’étouffer littéralement les antagonismes de classes, sources de transformation en profondeur de la société, et de contrer la compétition individuelle du libéralisme qui mène à une perte de pouvoir des autorités morales de l’époque, en l’occurrence l’Église catholique.
De façon concise, «le corporatisme peut être défini comme un système de représentation des intérêts dans lequel les unités constituantes sont organisées en un nombre limité de catégories singulières, obligatoires, non-compétitives, reconnues ou agréées -- sinon créées -- par l'État et auxquelles on a garanti un monopole délibéré de représentation au sein de leurs catégories respectives, en échange de l'observation de certains contrôles sur la sélection des leaders et l'articulation des demandes et des intérêts» (Bourque, 1995). Bref, il s’agit de l’intégration des mouvements sociaux au sein de l’État, dans des instances et structures définies, dictées et contrôlées par ce dernier. À titre indicatif, lorsque le corporatisme est totalitaire, c’est-à-dire le seul mode de représentation des intérêts d’une société, on qualifie un tel régime de fasciste.
Au Québec, on retrace une forte tendance au corporatisme, de l’époque où l’Église était seule représentante de la société civile et contrôlait les organisations syndicales, à aller à la laïcisation de ces structures, où syndicat et patronat étaient partenaire conflictuel au sein de l’État pour construire l’économie nationale (exemple des grands sommets au début des années 1980) (Archibald, 1983). Alors que pendant toute son histoire, le corporatisme au Québec était jumelé à une démocratie libérale, jumelage que certains nomment «démocratie sociale», il se trouve aujourd’hui des changements institutionnels majeurs qui érodent la démocratie libérale et qui renforcent le corporatisme. En effet, dans le contexte de mondialisation, l’État central est en perte flagrante de contrôle au profit d’institutions supra-nationales et régionales. Il ne s’agit pas là d’un simple glissement de pouvoir vers d’autres échelles de gouvernements, mais bien d’une transformation profonde de la nature de la régulation politique, les gouvernements supra-nationaux et régionaux n’existant tout simplement pas. On assiste plutôt là l’instauration d’instances technocratiques (gouverne par les experts) et juridiques (ententes contractuelles entre les acteurs sociaux) et à la désintégration des institutions de débats des rapports de forces de la société, bref, de la démocratie libérale. Le politique a donc de plus en plus cours dans des organisations basées sur le modèle des corporations d’intérêts technocratiques et de moins en moins dans les institutions politiques.
Ce renforcement du corporatisme s’opère de par un renversement des rapports entre le législatif et le juridique. Alors qu’au départ, le second découlait du premier, la tendance va dans le sens inverse, où le juridique contraint le législatif et anéantit progressivement son pouvoir d’action. Dans ce contexte, le citoyen individuel disparaît peu à peu et le citoyen corporatif prend sa place. L’individu, lui, devient client de ces corporations, qu’elles soient marchandes ou associatives. Le Québec étant déjà historiquement une terre fertile au corporatisme, cette désintégration de la démocratie libérale au profit du corporatisme est d’autant plus favorisée. La société civile, organisée en corporation d’intérêts (par exemple, la FEUQ, la FTQ, les CLD et autres organismes locaux ou régionaux) dans un cadre modelé par l’État, ne fait que réclamer le maintien et le renforcement de cette tendance, plutôt que de se mettre en conflit avec la classe dirigeante et de pousser pour le changement social. En collaborant avec l’État, et en se laissant modeler par lui sur le modèle des corporations, les organisations de la société civile se sont coupées de la base, se sont professionnalisées, compartimentées, fragmentées, technocratisées pour en venir à devenir des sous-traitants de l’État (dans le domaine communautaire, par exemple) et des légitimateurs du discours dominant (on vous a consulté, fermez votre gueule!).
Suivant cette tendance, l’avenir semble obscur. Il n’est toutefois pas impossible de renverser la vapeur, en commençant d’abord par détruire les structures de contrôle corporatistes. Les actions en ce sens doivent aller dans la recréation d’unespace public servant au débat (assemblée généralement, assemblée publique) et l’expression du conflit (prendre la rue, désobéissance civile, perturbation économique); le boycott des lieux de concertation avec l’ordre et l’anéantissement des structures corporatistes de nos organisations. Concrètement, pour le milieu étudiant, cela veut dire :
1) travailler à la désintégration de la FEUQ, en s’en désaffiliant;
2) réclamer la démocratie directe dans les associations étudiantes et autres organisations dont on est membre, et militer en son sein pour reprendre son statut de citoyen individuel dans la société;
3) réclamer le boycotte des instances corporatistes (Table jeunesse, Conférence régionale des élus, autres conseils d’administrations ou instances de consultation non décisionnelle et non démocratique), par les associations étudiantes ou autres associations dont on est membres
4) réfléchir, lire, écrire, discuter, débattre sur la nature des enjeux qui nous concernent, et s’organiser collectivement pour défendre ses intérêts en s’attaquant aux racines, aux causes fondamentales de ces enjeux;
5) déconstruire le discours dominant sur la participation, la concertation, la
démocratie;
6) cesser d’avoir peur : l’ordre établi est fragile lorsqu’on se met collectivement à l’ébranler.
Sources :
ARCHIBALD, Clinton (1983), Un Québec corporatiste ?, Hull: éditions Asticou.
BOURQUE, Gilles L. (1995), Le néo-corporatisme comme angle d'analyse de la nouvelle politique industrielle au Québec, Montréal: Crises.