Enfants gâtés!
Le Journal de Montréal, p. 28 / Nathalie Elgrably, 01 mars 2006
Vendredi dernier se tenait à Ottawa le Sommet sur l'éducation postsecondaire. Tous les premiers ministres provinciaux, de même que quelque 300 représentants du milieu de l'éducation et des associations étudiantes, étaient présents pour unir leurs voix afin de réclamer qu'Ottawa réinvestisse 4,9 milliards dans l'éducation postsecondaire.
Or, parmi tous ces gens de bonne volonté, personne n'a eu le courage d'exprimer ouvertement une cause importante du problème actuel, à savoir que les universités sont sous-financées … par les étudiants! Le dégel des frais de scolarité est clairement un tabou que personne n'ose aborder, mais nos dirigeants devront tôt ou tard trouver la force d'ouvrir ce dossier. Quant aux étudiants, ils sont plutôt audacieux de demander davantage d'aide gouvernementale alors qu'ils sont déjà parmi les plus privilégiés au monde.
Au Québec, les droits de scolarité constituent moins de 10% des revenus des universités, et représentent moins de la moitié de la moyenne canadienne. Concrètement, deux heures au cinéma coûtent plus cher que deux heures dans une classe d'université! Et s'il est vrai que l'instruction des jeunes bénéficie à toute la société, il demeure incontestable que les étudiants sont les premiers à tirer profit de leur éducation. Le revenu moyen des diplômés universitaires est d'environ 60% plus élevé que celui des travailleurs sans diplôme, et leur taux de chômage est substantiellement inférieur à celui de la population active en général. Étudier procure donc des avantages considérables. Est-il si exagéré de demander aux étudiants de contribuer un peu plus au financement de leur éducation?
Payer pour les enfants de riches
J'entends déjà les représentants des associations étudiantes répliquer que le dégel des frais de scolarité empêcherait les plus démunis de fréquenter l'école et les condamnerait à la pauvreté. Or, les étudiants d'origines modestes sont très peu nombreux à poursuivre des études postsecondaires, ce qui signifie que des frais de scolarité faibles constituent essentiellement une subvention que les contribuables moyens versent aux jeunes de familles aisées et aux hauts salariés de demain. Voulons-nous vraiment que la classe moyenne continue de payer pour l'éducation des enfants de riches?
Il est également faux de prétendre qu'une hausse des frais de scolarité réduirait la fréquentation scolaire. L'éducation n'est pas un bien de consommation que l'on délaisserait à mesure que son prix augmente, c'est un investissement. Et comme pour tout investissement, c'est uniquement le rendement qui compte. Selon certaines études, les taux de rendement de l'éducation varient de 14 à 19% pour un baccalauréat, ce qui en fait un investissement extrêmement rentable. Notre société entretient habilement la mentalité «je bénéficie, tu paies», mais apprendre à payer pour les services que l'on reçoit, ça fait également partie de l'éducation!
Il est vrai que les diplômés paieront davantage d'impôts une fois sur le marché du travail, mais ce n'est pas non plus une raison pour maintenir le gel les frais de scolarité. Celui qui rénove sa maison verra son compte de taxe augmenter, mais nous n'en concluons pourtant pas que l'État devrait financer ses rénovations!
Permettre aux universités de se financer en dégelant les frais de scolarité n'implique nullement que les étudiants réellement pauvres seront abandonnés à leur sort. Nous pouvons, et nous devons, les aider de manière ciblée à assumer leurs frais de scolarité. Mais il est absurde de financer 100% des étudiants alors que la majorité d'entre eux ont les moyens de payer davantage.
Régler la question du sous-financement des universités est un projet réalisable, mais encore faut-il cesser de faire l'autruche, reconnaître que les étudiants ont leur part de responsabilité et avoir le courage de les mettre à contribution.
* Cette chronique a aussi été publiée dans Le Journal de Québec.
Nathalie Elgrably est économiste à l'Institut économique de Montréal.