De la lecture pour la fin de semaine...
MATIÈRES À RÉFLEXION POUR LES MILITANTES ET MILITANTS DU QUÉBEC
Je ne suis pas un habitué des théories conspirationnistes, bien au contraire. Mais il y a parfois des accumulations de phénomènes dans un même domaine qui mènent à un modèle de tendance générale; dans le cas qui nous intéresse, je vous invite ici à réfléchir à la possibilité d'un assaut en profondeur du milieu militant étudiant du Québec.
Tout d'abord, il y a les phénomènes qui nous touchent directement et qu'on voit évoluer. Le premier exemple est le dégel, et les modalités de son implantation. Premièrement, il a été imposé en été, ce qui combiné au renouvellement de la population étudiante, était vraiment le pire moment pour qu'on réagisse. Deuxièmement, il s'agit d'un dégel progressif, ce qui élimine l'effet de choc d'un dégel brusque de 500$. On est touchés par le syndrôme de la grenouille dans l'eau chaude: plutôt que de déposer la grenouille dans l'eau bouillante et la voir ressortir, il sera plus facile de la cuire en la déposant dans de l'eau froide et en allumant le feu...
Encore dans les phénomènes visibles, il y a les mesures antisyndicales. Au niveau national, nous sommes tous et toutes touché-e-s par la loi C43, bon, on le sait. Il y a aussi la répression au niveau local avec laquelle nous devons coper - par exemple, au Vieux, chaque prétexte est bon pour se débarasser d'un ou d'une militant-e. À ce que je sache, c'est le cas ailleurs aussi.
Mais ce qui m'inquiète le plus, c'est ce qui est en train de se passer et qui nous attend au tournant. Peut-être avez-vous entendu parler du programme Parlements au Secondaire ( http://www.parlementsausecondaire.com ). Peut-être pas. Il s'agit d'un projet de la fondation Jean-Charles-Bonenfant. ( http://www.assnat.qc.ca/FRA/fondation-jcb/ ) Rapidement, cette fondation est présidée par le président de l'Assemblée Nationale, Michel Bissonnet. Elle existe depuis 1978 pour informer les gens sur nos institutions politiques et réfléchir sur la démocratie. (J'abrège.) Elle a démarré il y a un an et demi le programme des Parlements, dont l'objectif est d'implanter dans les écoles secondaires de véritables mini-Parlements, avec député-e-s, ministres, whip, projets de loi, et toute la merde. À ma connaissance, un Parlement est généralement implanté de force par la direction de l'établissement, à l'insu des élèves. Il faut comprendre pourquoi les directions souhaitent implanter des Parlements: il est écrit noir sur blanc dans leur charte que le ou la directeur-trice a un droit de veto sur chaque "loi" adoptée par le Parlement. Si vous vous demandez encore ce que ça va changer, je dégage deux risques.
Premièrement, une déradicalisation à l'avance de la future population cégepienne. Les Parlements, c'est fucking corpo, mais c'est satisfaisant pour les élèves du secondaire, car ils peuvent passer des "lois" pour acheter équitable, etc. et la direction les approuve paternellement et ils-elles ont l'impression de changer quelque chose. Il faut s'attendre à voir débarquer des étudiant-e-s sans critique de la démocratie représentative, endoctriné-e-s à ce système. Il y aura sûrement encore une minorité de radicaux-cales précoces, mais ils-elles seront certainement encore moins nombreux-euses qu'actuellement. À mon avis, la différence pourrait se faire sentir d'ici 1 ou 2 ans, quoique sûrement plus rapidement en région.
Deuxièmement, on doit à mon avis s'attendre à des chamboulements encore plus profonds. D'ici 4-5 ans, la population cégepienne au complet aura été renouvellée et remplacée par des jeunes accoutumé-e-s à la démocratie représentative. On ne doit pas être surpris-e-s si la vague de droite (j'entends par là les gens qui critiquent les associations étudiantes, les disent non démocratiques, etc.) gagnent alors en force. Les étudiant-e-s risquent d'avoir une vision différente de la "démocratie" étudiante, beaucoup plus proche de l'asso de services, voire même de Parlements au Cégep!
Et si vous vous dites que la menace n'est pas si grande, c'est que je n'ai pas encore sorti les chiffres. En 2006-2007 – la première année du programme – 50 écoles ont implanté un Parlement, dont 3 à Montréal. Cette année, c'est 62 de plus qui ont reçu le traitement choc – plus que doublant le total. À cette vitesse, ça ne sera pas long avant que le Québec entier soit touché! Et si les écoles de région sont beaucoup plus touchées, Montréal n'est pas en reste, avec 10 écoles participantes cette année. Chose curieuse, on compte au sein de ces 10 écoles Sophie-Barat et Joseph-François-Perreault, qui ont en commun les caractéristiques suivantes: avoir été les écoles au centre de la grève au secondaire en 2005 (ayant toutes deux débrayé plusieurs jours), avoir une culture militante établie, avoir un ou des programmes enrichis, et, le pire, avoir un mouvement actif pour l'implantation d'une association étudiante. À Sophie-Barat, c'était chose faite – charte et tout – mais quand les élèves sont arrivé-e-s à l'automne, ont leur a appris que c'était désormais un Parlement. En passant, il est écrit dans la loi que les élèves, même au secondaire, ont le droit de choisir leur mode de représentation, et que l'option associative n'est pas exclue. Bref, le programme Parlements au Secondaire progresse comme une épidémie, et il ne faut pas le négliger.
En conclusion, les attaques venant du haut comme du bas sont assez nombreuses pour former un tout inquiétant. Peut-être est-ce orchestré, peut-être aussi est-ce simplement le produit logique de l'idéologie dominante qui favorise la démocratie-spectacle et le désengagement de la vie politique. Peut-être aussi que les assos seront assez solides pour radicaliser d'un coup tou-te-s ces parlementaristes qui débarqueront année après année... j'ai des craintes. Je vous invite simplement à y réfléchir, à en parler et éventuellement à envisager des pistes de solution. La grève générale illimitée a un pouvoir radicalisant incroyable, mais on peut pas en faire une à chaque année! (quoique ça serait peut-être nécessaire...)
Pour ceux et celles qui veulent passer à l'action tout de suite, le projet Démocratie au Secondaire se retrouve mardi prochain, à 17h au Vieux, sous le thème "combattre les Parlements au secondaire." Son site est http://www.democratieausecondaire.org, vous pouvez y consulter le feuillet d'information produit l'an passé.
Solidairement, (aha, quelle salutation syndicale!)
Laurent Levesque
AGECVM