Hugo Meunier
La Presse
Wainwright, Alberta
Le sol tremble sous le poids des véhicules lourds de l’armée canadienne en direction de Rawanay, village afghan situé à une vingtaine de kilomètres de Kandahar. Les premiers tirs des blindés Léopard et VBL 3 marquent le coup d’envoi d’une importante offensive à laquelle participent près de 200 soldats québécois.
Dans le tumulte d’une orgie d’obus et d’ordres criés à tue-tête, montent des colonnes de fumée et une forte odeur de soufre.
L’objectif de la mission : « nettoyer » le village d’une soixantaine d’insurgés talibans, dont plusieurs s’entraînent dans un vignoble à proximité. Les pelotons doivent être vigilants, une quinzaine de civils sont mêlés à l’ennemi à l’intérieur des quelques bâtiments du village, dont une mosquée érigée sur le flanc d’une colline. Des applaudissements et cris de joie retentissent lorsque les missiles font mouche sur des cibles situées à plus de 100 mètres.
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Adrénaline, vraies munitions, authentiques noms de routes et de villages afghans et déplacements stratégiques des troupes sur le terrain : on s’y croirait presque.
Presque, si ce n’était de ces représentations en carton d’hommes barbus et louches, la kalachnikov au poing, éparpillées un peu partout dans le village pour incarner l’ennemi. Et si on était en Orient plutôt qu’en Alberta, dans l’Ouest canadien.
Pour les militaires du 22e Régiment de Valcartier, l’assaut du faux village afghan marque la fin de 10 mois d’entraînement intensif. Dans quelques semaines, les soldats rejoueront peut-être la même scène, cette fois à l’autre bout du monde. En Afghanistan pour vrai, avec de véritables ennemis et d’éventuelles ripostes à leurs attaques.
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« Un civil a été tué par mégarde, tous les insurgés ont été tués. Nous, on en a eu trois. » Fusil-mitrailleur au poing, le soldat Franco Guarnaccia dresse le bilan de l’offensive, qui s’est étirée sur deux heures. Aux pieds du militaire de Saint-Bruno, des douilles de toutes grandeurs.
Au loin, de la fumée blanche monte toujours d’une voiture et de bâtiments, atteints par de puissants tirs d’Eryx, une sorte de missile. Même une fois la mission complétée, plusieurs soldats demeurent en position. Couchés dans l’herbe, ils sont parés pour une contre-attaque.
L’état-major est satisfait. Le plan a été suivi à la lettre. La veille, le major Dave Abboud avait simulé une énième fois la bataille devant ses troupes, à l’aide d’une maquette — avec véhicules miniatures et bâtiments en bois — aménagée dans un grand carré de sable. Agglutinés autour, les soldats écoutaient sans broncher ce jargon militaire incompréhensible aux néophytes. « L’objectif Alpha pris, consolidé, prêt à appuyer par le feu l’objectif Bravo », explique le major Abboud, à l’aide d’une baguette pointée vers le sable. « C’est full talibans là-dedans », prévient l’officier à propos d’un des objectifs, un vignoble qui, pour les besoins de l’exercice, serait en fait un camp d’entraînement ennemi.
Ici, sur la base militaire albertaine, tout a été pensé pour teinter de réalisme les exercices militaires. L’état-major se déplace avec une carte géographique de l’Afghanistan. Pour se familiariser avec leur futur environnement, les soldats appellent leur base la Kaf (pour Kandahar Airfield — le nom de la base canadienne en Afghanistan) et parcourent des reconstitutions d’authentiques routes et villages afghans.
« J’ai hâte d’y aller »
En attendant l’heure H, les soldats, au repos, sont regroupés en pelotons dans un camp temporaire érigé dans un champ, à quelques kilomètres du village à attaquer. Les représentants de La Presse ont été intégrés durant trois jours à l’équipe 2-3 de la compagnie B. Soit une dizaine de fantassins membres de l’équipe de combat, qui se retrouveront sur la ligne de feu en Afghanistan.
Avec eux, nous avons dormi à la belle étoile, participé aux exercices vêtus des lourds casques et vestes pare-balles, mangé des rations militaires, bu notre café dans une bouteille d’eau coupée en deux, sans compter les nombreux déplacements à bord du véhicule blindé conduit par le Beauceron Ugo Delisle.
Entre les exercices, les soldats tuent le temps de toutes sortes de manières : préparer les munitions, entretenir les véhicules, griller des cigarettes, huiler leurs armes ou faire un roupillon couchés dans l’herbe, la tête appuyée contre leurs vestes pare-balles. En groupe, ils badinent en chantant en chœur des succès de Joe Dassin ou Julien Clerc. Ils partagent leurs appréhensions, leur excitation et aussi leurs craintes sur la mission à venir. « Je suis anxieux, J’ai hâte d’y aller. De mettre mes connaissances médicales en pratique. C’est beau la simulation, mais ça prend de l’expérience », confie Dominic Carignan, un membre du personnel médical originaire de Saint-Luc-de-Vincennes et père d’une fille d’un an et demi.
Le rôle du soldat de 26 ans sera d’accompagner les troupes dans les offensives et d’intervenir en cas de besoin. « Ma job sur le terrain sera de patcher et d’évacuer », explique ce marin intégré aux fantassins. Et la peur dans tout ça ? « S’il n’y a pas de peur, c’est qu’on est un peu fou », croit le soldat à la mâchoire de boxeur.
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Après des entraînements intensifs de plusieurs semaines au Texas et en Alberta, le 22e a eu le feu vert d’Ottawa le 17 mai dernier. « Nos unités sont prêtes. Là ce qu’on fait, c’est du polissage », explique le colonel Christian Juneau, un des responsables de la mission.
À quelques semaines du vrai test, le colonel étudie la mission à l’aide d’un projecteur installé dans sa tente à la base. Durant l’entrevue, le brigadier-général Guy Laroche entre dans la tente pour nous saluer. « C’est son carré de sable », décrit le colonel Juneau en pointant la région de Kandahar sur la carte, qui passera bientôt sous le commandement du général Laroche.
Même si des pertes humaines sont à prévoir, le colonel Juneau qualifie d’ « excellent » le moral de ses troupes. « On est comme des joueurs de hockey qui ont complété le camp d’entraînement. On attend que le coach nous mette la main sur l’épaule », résume le colonel. Quant à la division dans l’opinion publique entourant la mission, le colonel, comme la plupart des soldats interrogés, ne s’en fait pas trop. « Il y a un débat, c’est correct et démocratique, mais on laisse ça au Parlement », dit M. Juneau.
Comme dans Star Wars
Lorsqu’ils ne partent pas jouer à la guerre lors des nombreuses simulations organisées tout au long de leur entraînement, les soldats restent à la Kaf. Ils troquent alors les nuits glaciales à la belle étoile contre le confort de grandes tentes chauffées qu’ils se partagent en pelotons. Des douches ont été aménagées et les repas, plus consistants et variés, font oublier les rations utilisées en mission. Un grand téléviseur est installé au fond de la tente-cafétéria. Peu de soldats le regardent. Les jeux vidéo de guerre en réseau et le poker ont davantage la cote à la base.
L’entraînement des soldats a culminé par l’attaque nocturne, menée dans le même village qui a subi l’assaut de jour. Des affiches de faux talibans ont été réinstallées.
Fébriles comme des gamins quelques heures avant l’assaut, plusieurs militaires nous promettaient un feu d’artifice.
Promesse tenue. Les balles et missiles traçants rouges, blancs et verts qui déchiraient la nuit noire, additionnés au bruit des explosions, nous donnaient l’impression de faire partie d’une scène de Star Wars.
Grâce à une lunette de vision nocturne — sorte de monocle attaché à leur casque, les militaires peuvent évoluer sur le terrain comme en plein jour. Sans cet appareil, on ne voit que des ombres se mouvoir dans la nuit nuageuse et sans étoile. Même les blindés deviennent des masses noires difficiles à repérer.
La mission s’est terminée au milieu de la nuit, après deux heures de bombardements intensifs.
Exténués, sales, transis, les pieds lourds, les représentants de La Presse ne songeaient qu’à retrouver leurs lits de camps et leur tente chauffée. Les soldats, eux, nettoyaient joyeusement leurs blindés après avoir fait le ravitaillement des munitions.
C’est là qu’on sépare les militaires des « pousseux » de crayons.
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Et un superbe vidéo...:
Albertanistan L'ultime pratique
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