Le roi est mort. Bon débarras !
Christian Maltais
Chronique de Christian Maltais
lundi 4 juin 2007 326 visites 2 messages
http://www.vigile.net/article7017.html
« Le parti qui mange ses chefs en aura dévoré un autre. Avis aux intéressés à sa succession, le Parti québécois a toujours autant de mal à apprendre de ses erreurs. »
Michel C. Auger, Cyberpresse, 9 mai
« Le Parti québécois n’est pas comme les autres partis. On exagère à peine en disant que ce sont les militants qui dirigent, le chef n’étant à leurs yeux que leur porte-parole. Celui-ci ne peut, sans risque d’être blâmé, s’éloigner de l’orthodoxie partisane. »
Bernard Descôteaux, Le Devoir, 5 mai.
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La désintégration d’André Boisclair a ramené à l’avant-scène la question du leadership du mouvement indépendantiste. On nous a peint le portrait habituel du chef bien intentionné, trahi par des militants ingrats : les radicaux, les irréalistes, les « extrémistes ». Si on choisit de se fier aux opinions interchangeables des chroniqueurs politiques, la fin du règne de Monsieur Boisclair n’est en aucun cas sa responsabilité, mais bien celle du peuple, ou plutôt de l’idée abstraite du peuple que se font les écrivains à gage du Régime : une population homophobe, réactionnaire, incapable de comprendre la nécessité de coupures sauvages dans les programmes sociaux, etc.
Les « réformes nécessaires » de Monsieur Boisclair, son refus de considérer l’avis des militants ou le programme qu’ils se sont donnés, cela était prometteur, cela laissait croire en son « leadership ». Mais le brave Boisclair a été trahi par sa base, par ces hommes et ces femmes qui refusent d’être contraints au silence le plus absolu, sauf quand vient le moment d’applaudir.
Tandis que j’écris ces mots, il semble que Pauline Marois se dirige vers un couronnement assuré. Parmi les pièges qu’elle doit éviter, le magnanime Vincent Marissal laisse tomber, du haut de sa chaire de La Presse, qu’un des plus importants est de « tuer dans l’oeuf les débats stériles sur la date référendaire et à considérer les « purs et durs » pour ce qu’ils sont : une minorité bruyante, mais déconnectée de la majorité de leurs concitoyens. » (« Les cinq défis de Pauline Marois », La Presse, mercredi 16 mai).
Monsieur Marissal écrit pour un journal non seulement fédéraliste, mais qui lors de la dernière campagne référendaire a interdit à ses employés d’écrire quoi que ce soit qui serait favorable de près ou de loin à l’indépendance du Québec. Quant à l’idée que les éditorialistes de La Presse sont la voix du peuple, on se contentera d’un seul exemple : quand on a donné le nom de Pierre-Elliott Trudeau à l’aéroport de Dorval, André Pratte a tout de go admis que « La nouvelle était à peine annoncée…que notre Boîte aux lettres débordait de courriels de protestation » (La Presse, 22 août 2003) ; ce qui ne l’a pas empêché, de même que ses collègues Yves Boisvert, Joel-Denis Bellavance, et monsieur Marissal lui-même, d’écrire une série d’articles et de billets applaudissant la décision, et vouant aux gémonies tous ceux qui douteraient de la sainteté du Prince défunt.
Règle générale, il n’est pas trop présomptueux de croire que les lecteurs des pages éditoriales de La Presse savent bien qu’en lisant la prose d’Alain Dubuc, Lysiane Gagnon, ou n’importe quel autre, ils auront toujours droit à une défense du Régime canadien, quoi qu’il dise et quoi qu’il fasse. Le PLQ ou le PLC ne seront critiqués que quand ils perdront des élections, ou qu’ils baisseront trop dans les sondages, comme c’est le cas de l’Honorable Jean Charest, un « mauvais porte-parole pour des réformes nécessaires »...
De l’aveu même de ses propriétaires, La Presse existe pour se faire le propagandiste des intérêts de la famille Desmarais. Celui qui oserait prétendre que ces intérêts sont conformes, voire compatibles, avec ceux de tous les Québécois, celui-là serait bel et bien déconnecté de la majorité de ses concitoyens.
Pourtant, l’opinion de Monsieur Marissal a une certaine résonnance. Pourquoi ? Pourquoi a-t-elle un écho chez à peu près tous les politologues et chroniqueurs ? Seule Josée Legault, en tant qu’indépendantiste affichée, fait figure d’OVNI dans ce paysage. À moins de considérer Gilles Proulx comme un journaliste. Il serait certes intéressant de se demander pourquoi la voix de Mme Legault est tolérée par la machine idéologique, de la même façon qu’on invite Pierre Falardeau aux Francs-Tireurs. La mise en scène d’une objectivité, à laquelle personne par ailleurs ne croit, est-elle pourtant nécessaire à la survie du discours de l’oppression, qui permet à cette dernière de faire croire qu’elle n’existe pas ?
Si on se concentre toutefois sur l’affirmation de Vincent Marrisal, on est bien forcé d’admettre que l’anathème jeté aux « purs et durs » obéit à une tradition bien établie, celle d’un mépris à peine dissimulé, non seulement pour ceux que l’on cible ouvertement, mais bien pour tous les militants et, à travers eux, pour la population en général. Car le discours dominant, celui qui dans nos esprits maintient la légitimité de ceux qui nous gouvernent, c’est que nous vivons en « démocratie », le pouvoir par le peuple, hérité de la Grèce Antique et de la République romaine, gage de la civilisation la plus évoluée. Le peuple est libre. Le problème étant que tout l’édifice idéologique s’effondre dès que l’on tente de définir cette liberté. Car tout libre qu’il soit, le bon militant ne remet pas en question le chef, qui qu’il soit, quoi qu’il fasse. Le bon employé ne remet pas en question le patron, ni son salaire, ni ses conditions de travail. La bonne épouse ne remet pas en question son mari. Le bon fils ne remet pas en question son père. Le bon citoyen ne remet pas en question son premier ministre ou son président. Who’s the boss ? Father knows best.
La démocratie, tout comme le fédéralisme canadien, a deux existences. La première, celle que l’on vit à tous les jours, c’est celle d’un pouvoir détenu par une poignée de milliardaires, colonialistes de pères en fils, archevêques et papes d’une église diffusant une morale psychotique : compétition, exploitation, corruption, répression. Ces gens ne savent que vendre, acheter, et détruire. Ce schéma est ensuite reconduit du haut en bas de l’échelle. Le dominé doit dominer à son tour. On trouve toujours plus petit que soi. C’est là le premier rôle social joué par les chômeurs, les assistés sociaux, les itinérants, les junkies, les malades mentaux, les marginaux, faites votre choix.
Accuser un premier ministre de corruption soulignera à coup sûr l’indignation bien pensante, et les poursuites judiciaires avenantes. Qui s’émeut du meurtre d’une prostituée ?
L’auteur de ces lignes a vu pendant un an une jeune « pute » venir se cacher des policiers dans le club vidéo où il travaillait. Ces bons petits gars, les forces de l’ordre, l’arrêtaient de temps en temps. Parfois, ils l’emmenaient au poste. Le reste du temps, ils partaient avec elle, la violaient, puis la laissaient sur un coin de rue ou dans une ruelle. Elle avait 23 ans. Elle consommait, de son propre aveu, 5 à 6 grammes de cocaïne par jour. Sa mère s’occupait de ses quatre enfants. Elle avait deux gros chiens, ramenait toujours ses films en retard, je crois bien qu’elle était un peu folle, et à sa place je l’aurais été aussi. Je me souviens de son nom. Je ne sais pas si elle morte ; je suis raisonnablement assuré que les policiers vivent toujours. Mais s’ils meurent, attaqués par une putain exaspérée, je sais qu’ils auront leur photo à la une du journal, je sais qu’on les appellera des héros. Et pour le Régime, ils en sont.
La deuxième existence du Régime, c’est celle de la propagande. Un monde imaginaire, une catéchèse renforcée chaque jour à coups de milliards de dollars. Article premier : en démocratie, vous et moi avons autant de pouvoir, et autant d’influence auprès des politiciens, que Paul Desmarais ou que le Président de Lockheed Martin, de Monsanto, de WalMart, que toute cette classe anachronique et criminelle. Un mythe aussi grotesque que celui qui veut que l’exploitation des hommes et femmes du Tiers Monde ne nous affecte pas, que nous ne sommes pas en quelque sorte reliés les uns aux autres, membres d’une seule humanité, d’une seule planète.
On entend souvent, surtout depuis l’irruption du néo-libéralisme, des dénonciations – dans la rue, très rarement dans les médias – des « excès » de quelques politiciens, d’un ou deux hommes d’affaires maladroits. On trouve, non sans raison, que monsieur le président Bush est une crapule, et que Stephen Harper n’est guère mieux. On dit souvent, à juste titre, que ces gens sont de la graine (passablement germée) de fascistes. Du coup, on dépense beaucoup d’énergie à se dire qu’il faut défendre la démocratie. On ne peut défendre quelque chose qui n’a jamais existé.
La démocratie est le nom que s’est donné le Régime. C’est tout. C’est un nom. Ce n’est pas parce que votre cousin s’appelle Alexandre qu’il faut en conclure qu’il a conquis Babylone. Ses parents l’ont appelé Alexandre parce que c’était plus joli que Visage-Frippé-Qui-Pleure-Tout- Le-Temps, même si cette dernière appellation était sans doute plus fidèle au moment de son baptême.
Et qui a baptisé le Régime ? Ses parents, c’est-à-dire un groupuscule de riches propriétaires blancs qui, au-delà de leurs belles déclarations, n’avaient l’intention de se débarrasser ni de leurs plantations, ni de leurs colonies, ni de leurs serfs et esclaves, ni de bobonne. Ce qu’ils n’ont d’ailleurs jamais fait. Ils nous ont plutôt donné l’air conditionné et la semaine de quarante heures. Tant que tout le monde comprend qui est-ce qui dirige. Si vous croyez que cela, c’est la Liberté et la Démocratie, alors pas de problème. Sinon, y a la police. Buvez Coke.
On peut, et on doit, faire le lien entre le capitalisme mondial et le fédéralisme canadien, parce que ce dernier nous concerne directement, parce que c’est la forme particulière que prend chez nous une oppression planétaire, et parce que c’est donc seulement à partir de lui que nous pouvons agir, et renverser, l’exploitation globalisée. Si nous voulons non seulement vaincre, mais en plus rester fidèles à nous-mêmes ; si nous voulons ce faisant nous attirer l’appui indéfectible des peuples innombrables qui sont exploités sur Terre ; si nous voulons, surtout, cesser une fois pour toutes de nous trahir, et recouvrer notre dignité humaine et notre plein pouvoir créatif ; alors nous devons comprendre et accepter que notre projet est, à la base, révolutionnaire, qu’il vise à abolir un rapport de domination, non seulement parce que nous en sommes les victimes, mais parce que tous les rapports de domination doivent être abolis.
Et si tel est le cas, le mouvement de libération nationale doit lui-même être conscient de sa responsabilité d’abolir en lui tout ce qui alimente le rapport de domination, ce qui à chaque jour permet à l’oppression de se renouveler. Cette question ne doit jamais s’éloigner de la conscience du mouvement. Le prix de l’inconscience est trop élevé. Pour l’éviter, nous devons donc chercher à comprendre pourquoi tant de mouvements libérateurs sont tombés dans ce piège.
Posons la question autrement.
Pourquoi l’être dominé accepte-t-il de se soumettre, alors que par un geste de solidarité il pourrait anéantir cent fois les trônes qui encombrent la surface de notre planète ? La réponse, chaque Québécois est à même de la comprendre : l’opprimé apprend à se voir selon le regard de l’oppresseur. Il incorpore sa logique, ses arguments, sa morale, son esthétique. Il se trouve stupide et arriéré, faible et déraisonnable, il perçoit sa douleur comme une faiblesse de son propre cœur, sa colère comme une maladie, ses rêves comme une honte.
Combien de femmes battues affirment qu’elles ont provoqué la violence que leur fait subir leur conjoint ? « Il est tellement bon avec moi ». Combien d’enfants élevés à coups d’abus, de folie et de terreur, se convainquent qu’ils le méritent, qu’ils sont eux-mêmes des monstres ? Comment en serait-il autrement des peuples battus et abusés ?
La violence, physique et verbale, n’est pas une arme parce qu’elle crée une douleur momentanée, mais parce que cette dernière a un effet psychologique qui lui est plus durable, a fortiori quand la violence est sans cesse renouvelée. Le soumis doit apprendre à se soumettre, à aimer son bourreau, à le voir comme le modèle de la justice et de la vérité, et enfin de l’autorité. Ce faisant, il apprend à faire taire la seule autorité qui compte pour tout être libre : celle de son propre jugement et de son propre cœur. À sa place se crée une image distordue, où la violence subie est toujours justifiée, et où la parole de celui qui l’inflige est toujours sage. L’idée de l’autorité devient conforme au portrait de l’oppresseur. L’idée de force, elle, est identifiée à la capacité de faire subir de la douleur, plutôt qu’à la volonté d’être fidèle à soi-même. De l’acceptation de cette « autorité » et de cette « force », de cette usurpation, naît ce qu’on appelle la légitimité.
La violence est normale, et nécessaire, nous la méritons, il n’y a rien d’exceptionnel à cela, nous sommes des ignorants, des égoïstes, des bêtes. Seul celui qui frappe, celui qui méprise, celui qui ignore la douleur d’autrui, est à même de les diriger. Car celui-là a tant incorporé le modèle du maître qu’il a choisi d’en devenir un. Il parle les mots du père, du patron, du Régime. Et de sa main engourdie des coups qu’il a donnés, il flatte la tête de ceux qu’il a fait se soumettre à ses pieds.
La normalité de la violence, la banalité d’en être la victime quotidienne, provoque enfin dans l’esprit de l’opprimé le moment ultime de l’aliénation, son alpha et son oméga : parce qu’elle est normale, la violence cesse d’être vue comme violente, elle perd tout son sens dans l’esprit de celui de la victime : elle devient naturelle.
Et qu’est-ce que cela signifie, dans un monde basé sur l’économie, où l’économie est avant toute chose basée sur l’exploitation destructrice de la Nature, et où la Nature doit donc être désignée du nom d’ « environnement », c’est-à-dire comme quelque chose qui nous entoure, mais qui est à l’extérieur de nous, séparé de nos corps, toujours lointain, inconnaissable, et de là l’objet d’une angoisse silencieuse et fondamentale, objet inatteignable comme le souffle des morts ? Dans un monde qui entretient, et qui repose, sur la fiction d’un tel cauchemar, la naturalisation de la violence ne peut que rendre cette dernière invisible, sa vérité engloutie sous les larmes et le sang qui lubrifient la machine sociale.
À ceux qui seraient tentés – et nous le sommes tous – de soutenir que le mépris est tout de même moins pire que la fusillade, que la peur de la faim, qui est le ciment du travail salarié et avec lui du capitalisme, est acceptable puisque, tout de même, les travailleurs ont de quoi à manger, quand ils ne vivent pas dans le « luxe » ; à ceux qui trouvent honteux – encore ce mot – de comparer notre terreur diffuse à celle qu’inspire la guerre – comme par exemple celle qu’infligent « nos soldats » aux barbares du Monde entier -, il est peut-être temps de rapporter ce qu’en pensent les professionnels. Heureusement, ces derniers, par négligence ou par dessein, nous ont fait la grâce de nous offrir des livres d’instruction : les manuels de torture de la CIA. Rendus publics dans les années 90, ces documents, intitulés KUBARK Counterintelligence Interrogation (KUBARK est un nom de code que la CIA se donne à l’interne) et Human Ressource Exploitation Training Manual – 1983, ont été développés afin d’aider les experts américains à entrainer les polices d’Amérique du Sud. C’est cela qu’on appelle « l’aide internationale ».
On trouve dans ces pages le résultat de recherches qui se sont échelonnées pendant des décennies, menées par les gouvernements et leurs bras militaires, et auxquelles le « plus beau pays au monde » a participé avec dévouement et enthousiasme, des bureaux du Defence Research Board canadien aux salles prestigieuses de l’Université McGill. Le but de ces recherches, c’est de trouver le point de rupture, ou « régression », le moment d’effondrement de la psyché humaine, où on peut enfin en faire ce qu’on veut. Et qu’y lit-on ?
« La menace de la coercition affaiblit ou détruit habituellement la résistance de manière beaucoup plus efficace que la coercition elle-même. La menace d’infliger de la douleur, par exemple, peut engendrer des peurs qui causeront beaucoup plus de dommages que la sensation immédiate de la douleur. En fait, la plupart des gens sous-estiment leur capacité à endurer la douleur. Le même principe s’applique aux autres peurs : soutenue pendant assez longtemps, une forte peur de quoi que ce soit de vague ou d’inconnu induit la régression, tandis que la matérialisation de cette peur, l’affliction d’une forme quelconque de punition, aura de bonnes chances d’être un soulagement… »
La suite du texte devrait nous en dire long sur la douceur avec laquelle on nous traite, et sur la tolérance du Régime pour l’expression de nos petites crises :
« Les menaces proférées froidement sont plus efficaces que celles qui prennent la forme de cris enragés. Il est particulièrement important qu’une menace ne soit pas formulée en réponse aux propres expressions d’hostilité de celui qu’on interroge. Celles-ci, si on les ignore, peuvent induire des sentiments de culpabilité, tandis que des réponses aussi hostiles soulagent les émotions du sujet. »
Ce sont ces conclusions qui sont à la source du raffinement de Guantanamo, d’Abu Ghraib, ou de Tranquility Bay. Vous ne connaissez pas ? C’est un camp où les parents américains peuvent envoyer leurs adolescents « à problème » - ceux qui ont une vie sexuelle, ceux qui haussent la voix, ceux qui résistent à l’autorité. Un camp parmi des dizaines d’autres, appartenant par un homme de l’Utah, Ken Hay, et président de la World-Wide Association of Specialty Programs and Schools (WWASPS). Un membre de l’industrie dite du « behavior modification », la modification du comportement. WWASPS (un tel nom ne s’invente pas) a eu l’an dernier un chiffre d’affaire d’environ 80 millions de dollars. Les parents payent pour que « leurs » adolescents soient transformés, et ça marche. On soumet les jeunes exactement au même traitement que les prisonniers de la « guerre contre la terreur ». Des hordes de survivants ont formé des organisations, des sites internet, comme http://www.tbfight.com/. Ils racontent leurs histoires. Ils ont des photos, des vidéos.
Pourquoi personne n’en entend-il parler ? Poser la question, c’est y répondre.
On dit qu’à ce jour 10 000 enfants américains ont été envoyés par leurs parents dans ces camps de concentration. C’est une industrie florissante, il faut le dire, proche de la christian right américaine et du parti Républicain. Des gens proches de Dieu, les défenseurs de la famille et du libre-marché. La réduction à son plus simple de ce qu’est le Régime capitaliste, et de ce qu’il exige. Un monstre, qui voudrait achever de faire des monstres de nous tous. Une folie collective qui n’a que trop duré.
Tous ces événements, ces paroles, ces comportements, ne sont pas isolés. La misère de la putain de la rue Ontario, la torture des enfants, la guerre éternelle et illimitée contre un ennemi dont la définition change continuellement… l’emprisonnement et la mise à mort des syndicalistes du Sud, et les lois spéciales du Nord, l’endettement individuel perpétuel – cartes de crédit, prêts étudiants, hypothèques -, le transfert des usines dans les pays colonisés, hier ouvertement, aujourd’hui par la Banque Mondiale… l’air irrespirable des villes, la fonte des glaces de l’Arctique, l’empoisonnement du sol… les morts infantiles, les maladies, les épidémies… les famines, celle d’Afrique, celle en Inde, qui l’an dernier a poussé des dizaines de milliers de cultivateurs au suicide – famines causées par l’imposition d’une agriculture consacrée à l’exportation, ou par des terres surexploitées, comme nos mers... la disparition des poissons, des insectes (êtes-vous allés dans un parc récemment ?)… le policier du tiers-monde, qui bat le travailleur exploité, qui bat sa femme épuisée, qui bat ses enfants… les caméras dans tous les centres-villes, les campagnes contre les « gangs de rue », qui passent mystérieusement sous silence les grandes organisations criminelles qui les emploient, qui elles se paient un maire ou un sénateur…
La honte, la colère et le désespoir des Haïtiens, des Algériens, des Québécois, des Tunisiens, des Lettons, des Français, des Beurs, des Palestiniens, des Tchéchènes, des Mayas, celle des progressistes et même celle des réactionnaires…
Toutes ces choses forment l’État actuel de l’Humanité, et de la planète à laquelle elle appartient. Une crise dont nous ne sortirons qu’en comprenant la cause profonde du mal qui nous ronge depuis des millénaires, et dont le capitalisme n’est que la phase la plus avancée.
Lequel ?
Nous ne partageons pas. Nous n’écoutons pas. Nous n’entendons que notre peur du manque, et la voix dérisoire des oppresseurs. Mais ces derniers ne sont pas nos adversaires les plus importants. Celui que nous devons abattre, c’est l’oppresseur que nous entretenons nous-mêmes, celui que nous avons appris à recréer par nos paroles et nos gestes. Chacun de nous apprend à être son propre oppresseur. Ce n’est que de cette manière que nous pouvons devenir celui de notre voisin. Nous devons apprendre à être des libérateurs. Ce qui signifie avant tout, et par un travail incessant, se libérer soi-même. L’apprentissage de la liberté : c’est le travail militant.
Le peuple québécois est opprimé. Il l’est par le peuple canadien anglais, même si ce dernier aime croire à sa propre inexistence, et donc à son innocence. Mais nous le sommes aussi, bien entendu, par l’impérialisme américain, qui n’est lui-même que l’expression de l’oppression capitaliste, mondiale celle-là.
Ayons le courage de reconnaître enfin la validité de ce qu’affirmaient, et affirment encore, certaines de ces pestiférées que sont les féministes radicales : nos civilisations oppriment les femmes, non pas par une quelconque méchanceté innée des mâles, mais pour des raisons systémiques, institutionnelles, et que nulle simple réforme, nulle nomination, ne modifiera fondamentalement. L’oppression des femmes est bâtie dans notre organisation sociale de la même façon que celle des peuples « inférieurs » ou des travailleurs salariés.
Ces formes d’oppression ne sont pas hiérarchisées : aucune n’est pire ou meilleure, ni plus importante, ni moins terrible. Chacune se nourrit de l’autre. La survivance ou la reconduction d’une forme d’oppression appelle le retour de toutes les autres. C’est la leçon que nous a donnée l’Union Soviétique.
L’oppression du peuple québécois est aussi importante que toutes les autres. En nous battant, en réalisant notre liberté, nous agissons pour nous, mais nous exerçons aussi notre pouvoir de libérer l’Humanité elle-même. Cependant, une telle libération n’aurait aucun sens si elle se basait sur les principes de nos oppresseurs, si elle ne faisait pas le deuil de l’idée même de l’oppression, telle qu’elle s’exprime non pas seulement au niveau mondial ou national, mais aussi personnel. Il ne s’agit donc surtout pas de nous réprimer nous-mêmes, de refouler nos tendances oppressives, apprises et inculquées de génération et génération. Car cela, ce serait encore une violence, et certainement la plus répandue : celle que l’on s’impose à soi-même.
Nous sommes libres. Nous avons tous les pouvoirs, aujourd’hui, maintenant. Nous n’avons qu’à exercer cette liberté. Nous avons toujours le choix : mon geste sera-t-il oppressif, ou sera-t-il libérateur ? Est-ce que je ferme les yeux sur la douleur d’autrui, ou est-ce que je l’accepte comme la mienne ? Est-ce que je sens que je me trahis, ou que je suis digne de moi-même ?
Personne n’a dit que ce serait facile. Mais ce sera assurément beaucoup plus amusant.
Et La Presse ? Dérisoire, comme toujours.
Et la chefferie du Parti Québécois, du mouvement indépendantiste ?
L’indépendance n’a pas de chef. C’est le principe, pour peu qu’on y pense. Bien sûr, il faut s’organiser, trouver des manières de travailler ensemble. On ferait bien d’accepter toutefois que de temps en temps, quand on ne s’entend pas, il vaut mieux travailler chacun de son côté que de tenter de « convaincre » l’autre, ce qui ne serait rien d’autre que de tenter de dominer sa volonté. Si les arguments d’un militant réussissent à en toucher un autre, ou même celui qui jusqu’alors était un adversaire, alors tant mieux, bien sûr. La discussion fait partie de notre travail et de nos vies. Mais tâcher de convaincre quelqu’un, c’est encore tenter de le conquérir. Tactique inefficace, puisqu’elle ne peut que rencontrer l’hostilité de l’être humain libre que vous avez devant vous, et qui a, bien qu’on soit parfois tenté d’en douter, son propre pouvoir de juger par lui-même ce qui lui semble vrai. « Convaincre » est par ailleurs une tactique frustrante, pour ne pas dire épuisante, considérant son faible taux de réussite… Car on ne convainc jamais que celui qui veut être convaincu. Le mieux que l’on peut espérer, c’est d’être celui ou celle qui exprime ou confirme un raisonnement déjà amorcé, qui valorise une certaine sensibilité.
Si le Parti Québécois a échoué aussi lamentablement à réaliser l’indépendance politique, si notre peuple est toujours prisonnier de l’idée de nous qu’ont encore aujourd’hui les fils de nos conquérants, ce n’est donc pas faute d’argumentaire. Car l’idée même d’un argumentaire, c’est encore celle de convaincre quelqu’un d’autre de la validité de notre propre opinion contre l’invalidité de la sienne, par une série de slogans et de réflexions prédigérées qui fait totalement fi du pouvoir créatif de chaque instant. Vouloir imposer une volonté aux dépens d’une autre n’est pas une tactique susceptible de mener au changement que tant de nous veulent de tous leurs cœurs. Imposer sa volonté, tenter d’écraser quelqu’un, ce serait lui nier l’humanité que nous tentons de restaurer non seulement aux autres, mais surtout à nous-mêmes. Ceci, incidemment, s’applique aussi à ceux qui voudraient être chefs du mouvement, en mettant les militants au pas.
À bon entendeur, salut.