C'est ce que j'avais compris et considérant que l'idée de progrès est indissociable de tes arguments, que tu le crois "fort probable" ou inéluctable revient à peu près au même; il y a du progrès. Ma conclusion était présente dans mes prémisses parce que je répétais ce que tu affirmais d'un côté et refusait de l'autre. Mon seul crime aura été de révéler la contradiction.
Il ne s’agit pas de conclure à l’inéluctabilité du progrès, pas plus qu’à quelque nécessité que ce soit, mais d’exercer une estimation rationnelle. Je considère qu’à long terme, le progrès, qui se définit par rapport à une fin particulière, est probable parce que les objectifs humains ne changent pas dans leur essence, et que tous les moyens de parvenir à un but ne se valent pas. Le fait qu’il ne soit pas forcément linéaire prouve simplement qu’il est faux que je doive toujours me satisfaire de ce qui est.
Tu fais référence dans l'intitulé de ce sujet à ce que tu nommes une "science du droit". Je dois t'avouer avoir de la difficulté à concevoir une chose telle qu'une science du droit. C'est pour moi aussi ésotérique que ce qu'on appelle aujourd'hui les "sciences administratives".
La notion n’a rien d’absconse. Il s’agit, considérant un objectif donné, de découvrir les règles et les peines permettant d’y parvenir au mieux. Par exemple, on conçoit aisément qu’une société qui permet le vol et le meurtre ne prospérera que poussivement, sinon jamais. C’est donc à dire qu’une société qui aspire à la prospérité devra se doter d’un certain type de règles. Certaines découvertes relèvent de l’évidence, d’autres nécessitent un examen.
Je pense comme Hayek, que nous sommes en processus permanent de découverte des règles bonnes. Certaines d’entres elles sont trouvées, expérimentées, puis se transmettent sous forme d’impératifs moraux. Les interdits qui émergent de la concurrence anarchique entre plusieurs systèmes normatifs sont supérieurs aux lubies d’un seul homme parce qu’ils ont la sanction de l’expérience. C’est un a priori que partageaient les approches ‘scientifiques’ ou expérimentales du droit. En common law, on se fiait davantage aux jugements historiques, inductifs par essence, qu’à la déduction quelque pénétrante qu’elle fût d’un théoricien du droit. Idem pour la toile étroite de servitudes du droit coutumier médiéval. Quant aux juristes romains, ils n’inventaient pas le droit, mais observaient d’abord les règles que les citoyens appliquaient spontanément et en induisaient des jugements raisonnables.
Voilà ce qui relie science du droit, conservatisme et anarchisme. L’anarchie permet, par l’induction et par l’application libre de règles, d’en faire émerger qui soient appropriées étant donné une fin particulière. Par ailleurs, le conservatisme induit une méfiance à l’endroit des systèmes inédits parce qu’ils n’ont pas l’aval de l’expérience.
Je ne crois pas que tu aies été en mesure d'éviter le problème central de cette discussion, c'est-à-dire ne pas faire reposer le choix de normes sur une conception philosophico-politique de la vie en société.
Il s’agit de considérations on ne peut plus pragmatiques. Je n’ai pas le sentiment que les individus aient des fins foncièrement différentes. Celui qui dérange sciemment l’ordre social –le violeur, le voleur, l’assassin-, n’a pas pour autant l’envie d’être victime à son tour. Plus encore, il est fort probable qu’il entende se garder l’agression à l’instar de n’importe quel honnête homme. C’est cette inconséquence entre le comportement qu’un truand adopte et celui qu’il attend d’autrui qui condamne ce genre de vie à demeurer marginale. Le crime est profitable en tant qu’il demeure contingent.
Tout ça pour dire que je ne déduis mon système de norme de quelque absolu, comme tu crois que je le fais avec la propriété. La seule aune de légitimité, ce sont les jugements de valeur et leur confrontation. Il n’y a aucune nécessité dans les préférences humaines, mais on peut raisonnablement supposer qu’une majorité les partage. Ainsi, je suppose que comme moi, les gens préfèrent ne pas être volés, ridiculisés, tabassés, traités méchamment, et j’agis en conséquence. En général, ils me le rendent bien, et nous participons ainsi, à notre échelle, à l’élaboration d’un large système de normes. Par ailleurs, je fais l’hypothèse qu’ils raisonnent de même avec moi. Ainsi si un type m’agresse, je suis en droit de supposer qu’il aimerait beaucoup se faire agresser à son tour. Si ce n’est pas le cas, hé tant pis pour lui. Agis ; assume.
On peut tenter de sortir de cette impasse, comme ont pu le faire Marx ou les autrichiens, notamment Hayek, en établissant des relations qui prennent force de loi dans l'explication de l'origine des règles. Une explication de type darwinien porte en elle une aporie : pourquoi (et comment) déroger à ces lois ? Si les règles optimales seront celles qui finiront pas émerger, alors il nous est présentement permis de conclure que les règles optimales sont celles qui comportent un degré plus ou moins élevé d'intervention étatique. Je ne crois pas que cette conclusion te plaise. Si on veut proposer autre chose que le présent, il faut alors affaiblir l'argument darwinien au point de ne plus présupposer que les règles actuelles soient optimales. On revient alors au point de départ, que sont des règles optimales ?
L’ordre est étatique participe de la fraude. Les gens persistent à y souscrire parce qu’ils s’imaginent pouvoir y gagner quelque chose. C’est un cas typique d’arnaque pyramidale ; les ‘nouveaux arrivants’ (chaque nouvelle génération) sont dépouillés pour récompenser une partie des gens qui les précédent, et qui leur font miroiter des gains qu’ils n’auront jamais, car n’existant absolument pas en quantité suffisante.
C’est la raison pour laquelle trop de gens persistent à essayer de prendre le pouvoir, au lieu de contester le principe même du pouvoir.
D'autre part, ma réserve concernant le caractère linéaire du progrès contredit précisément ta conclusion. Outre le fait (ou du fait que) je n'ai jamais fait référence au darwinisme, je n'ai jamais non plus présupposé que les règles, à un moment donné, sont toujours meilleures que celles qui précèdent. Il existe des phases de régression, et plus on vite on en sort, mieux on se porte. On peut penser notamment aux expériences communistes.
Tu utilises ce critère dans un sens très restreint.
Je sais.
Anarchie et réaction.