http://www.ledevoir.com/2009/02/05/231641.html a écrit:Plus de 20 millions de chômeurs - La grogne du ChinoisSerge Truffaut
Édition du jeudi 05 février 2009Les autorités chinoises sont passablement inquiètes. Elles craignent comme la peste un sursaut aussi politique que belliqueux de la population, notamment de la part de ces millions de sans-terre, c'est le cas de le dire, qui forment la cohorte des premières et principales victimes de la crise économique à laquelle n'échappe pas l'empire du Milieu.
Depuis la conclusion des dernières olympiades, on calcule que 20 millions des 130 millions de «travailleurs ruraux» que compte le pays ont été mis à la porte. On estime qu'en décembre et seulement décembre, 10 millions d'entre eux ont perdu leur emploi. La cause? On le devine, elle s'appelle mise en berne de l'activité économique. De la masse de chiffres mettant en relief cette capilotade, on retiendra que la production industrielle a chuté des deux tiers au cours des douze derniers mois et que l'évolution du PIB au cours du dernier trimestre de 2008 laisse entrevoir une possible contraction, une possible récession. C'est dire.
En l'état actuel des faits économiques, des variables financières, on s'attend donc à ce que le nombre de chômeurs aille en progressant à un rythme si vif que les politiciens se disent abonnés aux cauchemars. En particulier celui de 1989, celui de la place Tiananmen. Car au sein du convoi grossissant des sans-travail, il y a une classe à part. Il se trouve en effet qu'au royaume de la lutte des classes, les «travailleurs ruraux» composent le groupe des déclassés. On s'explique.
Parmi les héritages portant l'empreinte de Mao, il y a l'inscription résidentielle qui divise la population entre citadins et ruraux. Et alors? Les conditions salariales accordées aux citadins excèdent toujours celles qu'on daigne allouer aux ruraux. L'accès aux programmes sociaux leur est toujours compté. Pire, lorsqu'on n'a plus besoin d'eux, ce fut le cas par exemple avant les Jeux olympiques de Pékin, on les renvoie dans leur campagne, qui est rarement douce. Bref, les ruraux sont les damnés de la terre chinoise, la main-d'oeuvre malléable à souhait, l'armée de réserve des potentats communistes.
Signe d'un temps qui se confond avec la corruption tous azimuts, beaucoup de ces ruraux découvrent à leur retour au village que la terre de la famille a été amputée par l'avidité de dirigeants locaux qui ont abdiqué leur pouvoir politique au profit de promoteurs immobiliers ou d'entrepreneurs industriels. Tout naturellement plutôt qu'évidemment, des millions de ces ruraux sont habités par le sentiment de révolte qui pourrait fort bien éclater, anticipent les hauts dirigeants à Pékin, un peu plus tard cette année lorsqu'on fêtera le soixantième anniversaire du Parti communiste comme maître absolu du pays.
Pour temporiser les ardeurs combatives, d'ailleurs déjà constatées ici et là, le gouvernement a fait une série d'annonces à saveur, on s'en doute, financière. Des milliards seront investis dans la construction de lignes empruntées par des trains à grande vitesse, dans l'érection d'aéroports régionaux et dans l'immobilier. Ce gouvernement a ceci de différent de celui des États-Unis que ses coffres sont pleins. Mais voilà, la réalité économique nord-américaine, européenne et russe se conjuguant avec récession sévère, la marge de manoeuvre de Pékin risque fort de fondre comme neige au soleil et de convaincre le paysan de s'engager dans une lutte des classes nouveau genre.