Le sexe des jouets
Stéphanie Martin
Le Soleil
Québec
Une voiture téléguidée pour Samuel, une poupée pour Amélie, et hop! dans le panier. Ce geste sera reproduit des milliers de fois en décembre sans que les acheteurs aient conscience qu’ils contribuent à emprisonner les enfants dans des rôles sociaux réducteurs.
C’est l’avis de Francine Descarries, professeure-coordonnatrice de la recherche au département de sociologie de l’Université du Québec à Montréal. Pour elle, les jouets, plus que jamais, renforcent les clivages sociaux entre les sexes. Germain Dulac, professeur à l’École de service social de l’Université de Montréal, abonde dans le même sens. «Les jouets ne sont pas neutres. Ils sont porteurs de sens, tant pour l’acheteur que pour l’enfant à qui il est destiné. Ils envoient un message», dit-il.
Il suffit d’ouvrir un catalogue de jouets pour constater que les univers féminin et masculin sont clairement délimités et pratiquement hermétiques. Rose bonbon d’un côté, bleu et rouge éclatants de l’autre. Pendant que les filles sont initiées aux appareils ménagers, aux bébés et aux trousses de maquillage et de fabrication de bijoux, on propose aux garçons des jeux qui invitent à l’action, à la découverte, qui les transportent à la guerre, à la ferme et dans la jungle.
Les jouets participent à la socialisation primaire, celle qui est la plus profondément ancrée, dit Mme Descarries. «Dès l’âge de deux ans, on assigne les filles au paraître, au domestique et les garçons à l’extérieur», déplore la sociologue. Ce qui n’est pas une bonne nouvelle, ajoute-t-elle. «Il s’en trouve pour dire que les jouets renforcent des rôles naturels. Pour ma part, je pense que ce sont des rôles appris qui n’ont aucun fondement ni dans la nature, ni dans la biologie, ni dans la génétique. Cela limite énormément les opportunités des enfants des deux sexes.»
De là à conclure que les jouets sexistes contribuent à garder les femmes loin du pouvoir politique, à les confiner à la maison et à perpétuer les inégalités salariales, il n’y a qu’un pas que Mme Descarries n’hésite pas à franchir.
En contrepartie, comment s’étonner qu’un homme ne se sente pas à l’aise avec un bébé, avec les tâches ménagères, alors qu’il n’a jamais été exposé à cet univers par ailleurs très familier aux filles?
Est-ce à dire qu’il faudrait encourager les garçons à jouer avec des poupées? Francine Descarries croit fermement que cela ne ferait pas de tort. «Les garçons sont complètement isolés du monde de la famille.» Nous aurions avantage, soutient-elle, à décloisonner les deux univers.
Mais pour Mme Descarries et M. Dulac, il ne s’agit pas de faire porter l’odieux aux parents. «Ils ont un rôle très, très important à jouer, mais les compagnies de jouets ont une responsabilité encore plus grande. Ce sont elles qui créent l’offre. Et il est facile pour le parent de céder aux pressions de sa fille qui veut une Barbie parce que toutes ses amies en ont», estime Mme Descarries. «Un cadeau, c’est un don. C’est noble, c’est beau, renchérit M. Dulac. On ne veut brusquer personne. C’est certain que si on offre une poupée à un garçon, il va se braquer.»
En tant que parent, on peut cependant proposer des solutions de rechange. Par exemple, suggère Francine Descarries, offrir aux petites filles des jeux qui développent les habiletés de création et les activités motrices. Et pour les garçons, des jeux qui sollicitent les capacités langagières. Il existe toute une panoplie de jouets mixtes qui font appel à l’imagination, à la mobilité, à l’imaginaire, au côté artistique, soutient-elle.
Un cadeau neutre n’est pas nécessairement un cadeau ennuyeux, ajoute Germain Dulac. Plusieurs jeux vidéo très cool favorisent le développement intellectuel et s’adressent autant aux garçons qu’aux filles. Avec la console Wii, par exemple, tous les membres de la famille peuvent démontrer leur adresse dans des jeux très actifs.
Et au lieu de se creuser les méninges sans fin pour trouver des cadeaux neutres pour les enfants, pourquoi ne pas s’offrir des sorties en famille, suggère M. Dulac. Des moments précieux qui raffermiront les liens entre les parents et leur progéniture et qui laisseront des souvenirs impérissables.
Quand fiston joue avec des poupées
Faut-il s’inquiéter qu’un garçonnet enfile des robes et s’amuse avec des poupées? Pas le moins du monde.
Pour Francine Ferland, ergothérapeute, il est tout à fait normal que les petits s’intéressent à divers jouets, même s’ils ne leur sont pas traditionnellement destinés. Les enfants sont curieux, dit-elle, ils aiment faire des expériences. Elle se souvient que son propre fils, à sept ans, lui a demandé de lui apprendre à tricoter. Il a essayé et s’est désintéressé après quelques rangs de mailles.
Si fiston développe soudainement un intérêt pour la maison de poupée de sa sœur, ce sera probablement passager. «C’est davantage le parent que ça dérange», souligne Mme Ferland.
Et si on met trop d’énergie à l’interdire, l’objet peut devenir plus attrayant pour l’enfant. On peut aussi créer un malaise et laisser l’impression à l’enfant qu’il ne se comporte pas comme il devrait. Mieux vaut le laisser assouvir sa curiosité.
Cependant, si la maison de poupée et les costumes de princesse deviennent l’unique activité d’un petit garçon, qu’il ne s’identifie qu’aux filles et que cela perdure, cela peut receler un problème d’identité sexuelle. Il serait préférable de consulter.