Rezo des luttes
la marchandisation des universités en Allemagne
On pouvait lire en octobre dans « Der Spiegel » (http://www.spiegel.de) plusieurs articles sur les universités allemandes.
Universités « d'élite ».
L'université technique de Munich (TU München), l'université Ludwig-Maximilian de Munich (LMU) et l'université de Karlsruhe sont les trois établissements qui ont reçu le titre "d'université d'élite" pour la première année de ce programme. Elles se verront accorder 21 millions d'euros supplémentaires par an entre 2007 et 2011. Par ailleurs, 18 écoles de troisième cycle et 17 "centres d'excellence" ont été sélectionnés dans 22 universités qui se partageront 175 millions d'euros annuels supplémentaires dans le cadre du programme d'excellence, doté de 1,9 milliard d'euros jusqu'en 2011. D'autres "universités d'élite" devraient être désignées mais les trois premières peuvent déjà tabler sur leur "label" pour essayer d'attirer des enseignants et des étudiants sur le plan international. La répartition géographique laisse l'est et le nord du pays sans établissement d'élite, ce qui a attiré des commentaires mécontents du ministre-président de Thuringe: selon lui, les 16 années écoulées depuis la réunification n'ont pas permis à l'Est de rattraper l'Ouest et la désignation d'universités d'élite uniquement à l'Ouest va creuser le fossé. Mais la désignation des universités choisies n'a pas été aisée et certains membres du comité ont demandé la démission de son président. La mise en avant d'établissements phares représente la fin de l'idéal allemand d'un système universitaire dispensant les mêmes formations, de même niveau, sur l'ensemble du territoire. Avec la possibilité d'instaurer des droits d'inscription et l'encouragement pour les universités à trouver des financements privés, le paysage de l'enseignement supérieur est bouleversé (13 octobre).
Le président du conseil scientifique s'est déclaré favorable à une pérennisation du concours de désignation des universités d'élite et souhaite, à terme, en faire un championnat où des universités monteraient, d'un concours à l'autre, en "première division" alors que d'autres descendraient. Il estime qu'un tel concours pourrait être mis en place dans 5 à 7 ans. Il souhaite ainsi que les universités qui ont remporté le titre "d'université d'élite" ne s'endorment pas sur leurs lauriers. Annette Schavan et quelques ministres-présidents de Land se sont déjà prononcés pour que le concours d'université d'élite soit renouvelé et pérennisé. D'ores et déjà, trois autres "universités d'élite" doivent être désignées à l'automne 2007. Dix établissements ont déjà déposé un dossier et le président du jury qui a désigné les précédentes estime que Aix-la-Chapelle, Heidelberg et Fribourg ont de bonnes chances pour cette édition (16 octobre).
Le classement triennal des universités qui gagnent le plus d'argent grâce à la commercialisation des résultats de leurs activités de recherche n'a guère changé depuis sa création en 1997. Cette année encore, les deux premiers sont la LMU (Ludwig-Maximilians-Universität) de Munich (131 millions d'euros gagnés entre 2002 et 2004) et la RWTH d'Aix-la-Chapelle, l'université technique, avec 126 millions. Suivent ensuite Heidelberg et Würzburg (105 millions), l'université Humboldt de Berlin (102 millions) et l'université technique de Karlsruhe (101 millions). Il apparaît encore que les 3,2 milliards d'euros engrangés en trois ans par l'exploitation de la recherche sont concentrés dans quelques universités: les 10 meilleures obtiennent un tiers de la somme totale et les 40 meilleures, 86%. Mais la DFG, l'organisme qui produit ce classement, reconnaît aussi qu'il n'est pas juste de juger tous les établissements selon les mêmes critères: les premiers sont ceux dont les points forts sont l'ingénierie et tous les types de recherche onéreux. L'université de Mannheim, deuxième du classement dans les sciences sociales et du comportement, n'arrive que 40ème au classement général. L'université de Karlsruhe, sixième au classement de la totalité des gains, est très largement en tête en termes de gain par professeur: chacun d'eux fait gagner 407 000 euros à l'établissement (4 octobre).
Financement.
L'introduction des droits d'inscription à cette rentrée dans le Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie a conduit à une baisse de plus de 5% des effectifs des étudiants de première année, a reconnu le ministre de l'Éducation du Land. Et cela pourrait se poursuivre puisqu'à l'avenir, tous les niveaux, et pas seulement les premières années, sont appelés à payer. Le Land a enregistré 64 000 nouvelles inscriptions, soit 3 500 de moins que l'an passé. Un effet d'autant plus marqué que plus de 5 000 élèves supplémentaires ont acquis le droit de faire des études. Toutefois, la baisse peut également être due en partie à l'accroissement du nombre de cursus limités par un numerus clausus. Actuellement, environ la moitié des nouveaux étudiants sont concernés par les droits d'inscription. En effet, les universités sont libres de choisir si elles veulent faire payer et comment. Sur les 33 universités publiques, 28 ont choisi de le faire. La Rhénanie-du-Nord-Westphalie est, après la Basse-Saxe, le deuxième Land à franchir le pas. La Bavière, le Bade-Wurtemberg, Hambourg et la Sarre doivent suivre. D'ici 2010, les droits doivent rapporter 500 millions d'euros aux universités (21 octobre).
Le Tribunal constitutionnel a refusé une aide financière à la ville de Berlin, estimant qu'elle pouvait encore faire des économies, notamment sur ses trois universités et ses trois opéras. Avec trois énormes universités et plus de dix établissements d'enseignement supérieur, Berlin accueille 138 000 étudiants et le Tribunal estime que c'est trop. Mais le maire SPD de la ville s'est une nouvelle fois opposé à la fermeture de l'une des trois universités comme à l'instauration de droits d'inscription. Son ministre des Finances remarque cependant que Berlin dépense plus par université que Munich, or la ville bavaroise place ses deux établissements dans les "universités d'élite" et Berlin aucun. Mais le conseil municipal de gauche refuse toute mesure d'économie drastique pour les universités: l'adjoint à l'économie souligne que pour la France et la Grande-Bretagne, les capitales servent de "vitrines de la nation" et qu'il ne viendrait à l'idée de personne de faire des coupes claires dans les universités. Il note aussi que, depuis 2001, les trois établissements ont économisé 75 millions d'euros (25 octobre).
La fondation Jacobs, du nom du fondateur de l'entreprise de café du même nom, a promis le versement de 200 millions d'euros pour sauver l'IUB (International University Bremen), l'une des trois universités privées allemandes. La fondation va verser 15 millions par an pour la recherche et l'enseignement pendant les cinq prochaines années et, en 2011, elle versera 125 millions pour "assurer un niveau d'enseignement et de recherche qui puisse être compétitif sur le long terme". En échange, la fondation, basée en Suisse, s'arroge les deux tiers des parts sociales de l'établissement qui change de nom pour s'appeler la "Jacobs university Bremen". Un tel versement est exceptionnel en Allemagne et ne s'est produit qu'une fois: pour la création de l'institut de technique des logiciels de Potsdam. Et cette manne est particulièrement indispensable: en 2005, l'IUB a perdu 20,9 millions d'euros qui s'ajoutent aux 18,4 millions de 2004. Née en 1999, l'IUB est la deuxième université privée du pays. Ses cours sont entièrement dispensés en anglais et elle attire 1 000 étudiants de 85 pays. Dès sa fondation, elle a souhaité concurrencer les établissements privés nord-américains et se créer un capital social de 250 millions de marks qu'elle n'a jamais réussi à réunir. En outre, moins d'un de ses étudiants sur dix paie l'intégralité des droits d'inscription (15 000 euros pour une licence, 20 000 pour un master). Même si elle est un succès d'un point de vue académique, un audit estime que son déficit scientifique ne peut pas être comblé sans aide: il lui manque des étudiants de troisième cycle. Sur ses 1 000 inscrits, 618 sont en licence. Comme ceux-ci sont les plus susceptibles de quitter le pays pour rentrer chez eux une fois leur diplôme obtenu, les entreprises censées aider au financement de l'IUB ne s'empressent pas de le faire car elles n'ont plus beaucoup de diplômés à leur disposition (1er novembre).
Et dans « Die Süddeutsche Zeitung » du 14 octobre (http://www.sueddeutsche.de) :
L'entreprise Aldi a sponsorisé la rénovation de l'amphithéâtre principal de l'université professionnelle de Würzburg, qui porte désormais le nom d' "Amphithéâtre Aldi-Süd". Selon le ministère bavarois de l'Éducation, "légalement, c'est le problème de l'université. Le sponsor ne doit naturellement pas s'immiscer dans le contenu éducatif." C'est la première fois qu'une entreprise sponsorise directement une université: jusqu'à présent, les seules expériences en ce domaine ont été effectuées par le biais de fondations d'entreprises. Dans le cas d'Aldi, c'est aussi la première fois que la société s'implique dans le domaine éducatif. Mais cela ne fait pas l'unanimité, non seulement chez les étudiants mais aussi dans le corps enseignant qui craint que Würzburg ne reçoive le surnom "d'université Aldi".
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publié le 16 novembre 2006