J'envoie ce message dans une perspective de réflexion. Je me défends aujourd'hui, par ce texte, des nombreuses accusations de pessimisme suscitées de part et d'autre. Je pense que la valeur de ce texte est majeure; à vous de voir. Il a été distribué le 7 avril à l'occasion du congrès extraordinaire sur la GGI de l'ASSÉ.
Une grève… pas n’importe comment !
Nous sommes une quinzaine de militant-e-s de Montréal (cégep du Vieux Montréal, cégep de Maisonneuve, UQAM, Université de Montréal) qui se sont rassemblé-e-s pour discuter des enjeux reliés à la grève générale illimitée qui pourrait avoir lieu l’an prochain. Nous avons ainsi réfléchi et formulé des propositions par rapport à certains aspects de la préparation de cette grève. Nous regrettons de n’avoir pu poussé la réflexion plus loin sur différents aspects de la prochaine grève, faute de temps. Nous espérons cependant que les idées qui suivent sauront susciter des débats larges et francs dans les semaines et les mois à venir dans le mouvement étudiant, afin d’engager les hostilités avec le gouvernement en y étant mieux préparé-e-s d’un point de vue théorique et organisationnel.
Les revendications
Nous proposons une plateforme de trois revendications pour la prochaine grève générale illimitée.
1- Vers la gratuité scolaire : contre toute augmentation des frais de scolarité et abolition de tous les autres frais ;
2- Amélioration des ressources et des services (investissement dans les laboratoires et dans les bibliothèques, embauche de profs, d’employé-e-s professionnel-le-s et de soutien) dans une perspective d’éducation de qualité, libre de l’intervention du privé ;
3- Mise en place d’un service de garde public, accessible et flexible dans tous les milieux d’étude postsecondaires, dans le but d’assurer une conciliation études-famille.
De prime abord, nous croyons que nos revendications, au cours de la grève, devraient être défendues fermement et ne jamais être revues à la baisse ; si nous proposons ici une plateforme moins ambitieuse que l’originale, c’est pour pouvoir ensuite la tenir jusqu’au bout ! À cet effet, il importe que cette plateforme rejoigne réellement la population étudiante afin qu’elle soit dotée de la motivation nécessaire pour poursuivre la grève au-delà de la récupération probable qu’en fera la FECQ-FEUQ.
La gratuité scolaire reste pour nous une importante revendication du mouvement étudiant. C’est pour cela que nous introduisons nos revendications en y faisant référence. Ainsi, « Vers la gratuité scolaire » donne un ton plus affirmatif que la « perspective de gratuité scolaire » de la grève de 2005. Par ailleurs, l’abolition des frais afférents et des frais de toute autre nature (TAN) au collégial signifierait l’obtention de la gratuité scolaire pour le collégial. Dans le cas des universités, ces frais varient selon les institutions de manière significative, mais la moyenne doit être proche des 300$ par année. Si nous sommes en désaccord que la gratuité scolaire soit la revendication centrale de la grève, c’est que nous croyons qu’il s’agit d’une revendication encore mal comprise et peu défendue par la base étudiante, y compris dans les associations étudiantes disposant de mandats en faveur de la gratuité (considérant le niveau de participation aux AGs et aux actions…). Il ne faut pas se leurrer : le détonateur de la grève étudiante sera un dégel prochain des frais de scolarité. Organisons-nous donc en conséquence ; s’il faut partir en guerre, nos premiers ennemis seront l’optimisme naïf et l’improvisation…
C’est un piège de diluer nos revendications et de ne demander que le statu quo comme le font la FECQ-FEUQ; c’est aussi un piège de se mettre des lunettes roses qui nous donne le look d’une clique déconnectée. Chaque campagne de grève doit être issue des préoccupations mainstream de la population étudiante, à défaut de quoi elle sombrera d’elle-même dans l’oubli. L’ASSÉ pourrait y perdre des plumes : il faut être conscient-e de l’état du mouvement et de ses limites.
Les revendications des grèves de 1968 et 1978 comprenaient la gratuité scolaire ainsi que des revendications sur les prêts et bourses. Notons toutefois que ces revendications figuraient au programme des partis politiques du moment. Il va sans dire que la situation politique s’est dégradée depuis… Le mouvement étudiant n’évolue pas en vase clos; le contexte actuel en est un de régression sociale. Nous n’aurons pas la gratuité scolaire avec la grève de 2007, et vous le savez bien. Alors pourquoi la faire miroiter à la population étudiante? Elle n’est pas dupe et cela nuirait à la mobilisation. Les gens vont croire qu’on veut faire la grève jusqu’à la gratuité pour vrai, donc pour très longtemps et avec de bien minces chances de l’emporter… Ce sera extrêmement difficile de faire lever une telle grève. Devons-nous vraiment rappeler que lors des deux dernières grèves, on n’a pas réussi à obtenir le statu quo mais bien une régression déguisée ?
Lorsqu’on adopte une plateforme de grève, c’est qu’on envisage de la mener jusqu’à l’obtention de la totalité ( ou au moins de la majorité ) de ses revendications. Demander plus pour avoir moins, d’accord, mais il faut tracer la ligne de quand cette stratégie commence plus à nous nuire qu’à nous aider… Il en va carrément de la cohérence du mouvement de grève. L’ASSÉ souhaite-t-elle présenter une belle analyse théorique ou être une alternative de lutte syndicale concrète ? Certes, la manifestation du 29 mars a somme toute été correcte, mais une grève générale illimitée est d’un tout autre ordre !
La deuxième revendication fait contrepoids à l’argument que la lutte pour la gratuité scolaire occulte la lutte en faveur d’une meilleure qualité du système d’éducation. Cette revendication prend des exemples précis où le désinvestissement en éducation a fait mal et pour lesquels il faut agir. Par ailleurs, cette revendication permet de faire le pont avec des revendications de syndicats de professeur-e-s et de syndicats d’employé-e-s professionnel-le-s et de soutien.
Il faut par ailleurs mettre l’accent sur la revendication des garderies pour utiliser la question populaire de la famille tout en misant sur une revendication légitime et progressiste. Ainsi, il s’agit d’une revendication qui pourrait changer la vie de nombreux parents étudiants, notamment les mères monoparentales. Si nous avons changé légèrement la formulation de la revendication actuelle de l’ASSÉ, ce n’est que pour la rendre plus punchée.
Le déclenchement de la grève
Nous nous sommes posé-e-s la question d’un éventuel déclenchement de la grève générale illimitée. D’abord, il faut que les associations étudiantes adoptent dès maintenant un mandat de principe de grève en cas de dégel qui précise la tenue d’assemblées générales de grève. Afin de ne pas tomber directement en milieu de session, tout en nous laissant le temps de s’organiser en début de session, nous avons convenu qu’il faudrait déclencher la grève générale illimitée avant le 1er octobre 2007. Il faut donc que tout le matériel de mobilisation soit prêt dès la première semaine scolaire.
De plus, nous proposons un double plancher de déclenchement de la grève, c’est-à-dire qu’il faudrait pour déclencher la grève au minimum 7 associations étudiantes et 25 000 étudiant-e-s avec un mandat de grève. Le plancher de 7 associations étudiantes devrait être réutilisé à cause du succès qu’il a eu en 2005. Il a en effet favorisé le déclenchement rapide de la grève, ce qui a eu un effet boule de neige entraînant de nombreuses associations étudiantes dans la plus grande grève étudiante de l’histoire du Québec. De plus, en 2003, un plancher de grève trop élevé (15) avait été l’une des causes de l’échec de la tentative de grève générale illimitée de l’ASSÉ. Nous suggérons 25 000 étudiant-e-s comme plancher de déclenchement de grève pour ne pas partir en grève s’il n’y a que quelques petites associations étudiantes départementales universitaires qui aient obtenu des mandats de grève.
Coalition nationale
Nous nous sommes aussi posé-e-s la question d’une éventuelle coalition. Nous avons décidé de formuler ces deux propositions qui résument la conclusion de nos discussions :
1- Qu’il y ait une ASSÉ élargie et que les associations étudiantes membres s’engagent, comme préalable à leur adhésion, à payer les frais reliés à la grève et à l’ASSÉÉ et qu’ils adoptent exactement la plateforme de revendications.
2- Qu’une rencontre de fondation de l’ASSÉ élargie ait lieu dans les deux premières semaines de septembre.
Ainsi, nous refusons catégoriquement que l’ASSÉ mène seule la coordination de la grève. L’ASSÉ est plus forte que jamais, mais il ne faut pas trop surestimer sa force. La mobilisation n’est pas excellente partout, il y a de faibles taux de participation, il y a des associations étudiantes qui n’ont pas fait grand chose pour le 29 mars. Il faut donc une place pour les associations non-affiliées progressistes. De plus, si la FECQ-FEUQ ouvre ses structures pour la durée de la grève comme elle prévoit le faire selon certains documents internes, refuser de créer une association élargie serait signer l’arrêt de mort de l’ASSÉ. Par ailleurs, nous devrions cesser d’utiliser « CASSÉÉ » comme nom de groupe pour les raisons que tout le monde connaît.
Nous devons régler la question de nos rapports avec la FECQ-FEUQ dès le départ afin d’éviter des complications inutiles. La coalition doit adopter un discours unitaire, limpide et critique concernant les fédérations et leurs rôles néfastes au sein du mouvement étudiant. Aucune alliance n’est possible, car les chefs des fédérations n’ont jamais été dignes de confiance.
Être combatif pour nous signifie de perturber le déroulement normal de la société. Nous ne voulons pas d’une coalition qui moralisera ses membres pour des actions banales telles que les occupations. De même, notre discours médiatique ne doit pas être ambivalent sur notre volonté de faire des actions d’éclat qui bousculent les autorités.
Nous refusons par ailleurs les exigences d’affiliation mur à mur puisque les campagnes d’affiliation doivent se tenir que lorsque la situation locale est mûre. Le risque des campagnes prématurées, c’est le risque de tenir beaucoup de campagnes se terminant dans l’échec, qui feraient en sorte de barrer l’ASSÉ de plusieurs campus pendant des années.
Négociations
Nous ne négocierons que sur la base de nos revendications. Considérant que nous faisons partie intégrante du mouvement étudiant, notre présence est obligatoire à toute rencontre des fédérations avec le gouvernement durant la grève. Nous sommes disposé-e-s à entrevoir une escalade des moyens de pression contre les fédérations elles-mêmes si elles s’entêtent à nous écarter des séances de lobby.
Guillaume Beauvais
François Bélanger
Jérôme Charaoui
Xavier Dandavino
Véronique De Broin
Vanessa Giroux
Arnaud Grégoire
Pierre-Luc Junet
Marie-Pier Lévesque
Martin Lord
David Simard
Ousmane Thiam
Christine Thibault
Stéphanie Thibault
Julien Vadeboncoeur