La Presse
Actuel Santé, dimanche 9 avril 2006, p. ACTUEL2
Pour en finir avec les menstruations
Galipeau, Silvia
Alors qu'il est désormais banal de parler stimulation clitoridienne ou reconstruction vaginale entre copines, voilà qu'un sujet vieux comme le monde suscite un débat passionné : les menstruations. Ultime tabou, parce que c'est sale et que ça pue, diront certains, ce sang indigne pourrait bien disparaître de notre quotidien à tout jamais. Mais voilà que la nouvelle ne fait pas que des heureuses. Débat.
À priori, il n'y a pas beaucoup de filles qui s'en réjouissent quand revient, immanquablement, cemoment particulier du mois. Parce qu'elles se trouvent lourdes, ballonnées, et surtout irritables à souhait. Une semaine par mois, les activités physiques, professionnelles et sexuelles des femmes, menus alimentaires et même choix vestimentaires sont restreints, sinon censurés. Pas de quoi célébrer.
Et si on nous promettait le pactole? De nous en débarrasser une fois pour toutes? C'est la promesse que fait la compagnie pharmaceutique Wyeth (mère d'Advil), avec une nouvelle pilule contraceptive, baptisée Anya. La pilule, qui n'a pas encore été approuvée par Santé Canada (la demande a été déposée en juillet, mais l'approbation d'un médicament prend une quinzaine de mois), pourrait théoriquement arriver en pharmacie cet automne.
De quoi s'agit-il? D'une pilule à très faible dose (20 mg d'oestrogène, 90 mg de progestérone), à prendre en continu, 365 jours sur 365.
Une autre pilule du genre, Seasonale (également en attente d'approbation au Canada, depuis octobre cette fois), produite par les laboratoires Barr, existe déjà aux États-Unis. Mais contrairement à cette dernière où, comme son nom le laisse deviner, les femmes sont menstruées à chaque saison (quatre fois par année) , Anya, si elle fait son entrée au pays, pourrait permettre à toutes les femmes qui le désirent d'avoir toujours la même dose d'hormones dans le corps, et ce à longueur d' année. Fini les cycles menstruels, les sautes d'humeur et autres montées de lait incontrôlables. Bref, fini les menstruations.
Cette perspective ne fait pas le bonheur de toutes les femmes. Mais même si elles sont toutes dans le même bateau, aucune femme interrogée n'a voulu qu'on révèle son nom.
"Ça m'inquiéterait plus que ça me soulagerait", dit Nathalie (nom fictif), 45 ans, pourtant bien incommodée par ses menstruations.Chaque mois, pendant deux jours, elle doit aussi se changer aux demi-heures. En finir avec les menstruations? "J'aurais l'impression d'aller contre la nature. Ce ne serait pas moi", tranche-t-elle.
"Ça m'effraierait un peu de ne pas avoir mes règles", ajoute Mélanie (nom fictif), 28 ans. Les menstruations, cela reste lié à la fertilité, et j'aurais l'impression de jouer avec mon appareil reproducteur."
"C'est normal d'avoir ses règles. Si on les supprime complètement, il y a quelque chose qui semble manquer", croit aussi Sarah (nom fictif), 18 ans.
Gwen, 31 ans, est davantage attirée par le concept. "Je n'ai pas besoin d'être menstruée pour savoir que je suis une femme, dit-elle. C'est pénible les menstruations, tu taches tes culottes préférées, tu ne peux pas avoir de relations sexuelles quand tu veux. Ça n'est vraiment pas quelque chose de désirable dans la vie."
Manifestement, la nouvelle pilule ne fait pas l'unanimité. Brian Hauck, chef de l'équipe de gynécologie à la direction de la santé de Calgary, également membre de l'équipe de recherche de Anya, croit que le tiers des femmes qui prennent la pilule souhaiterait en finir avec leurs menstruations. D'après un sondage réalisé par l'Association américaine des professionnels de santé reproductive, 69% des femmes, si on leur assurait que la technique de suppression des menstruations est sans danger, accepteraient de l'essayer. "Bien des femmes sont incommodées par leurs menstruations, dit-il. S'il ne sert à rien d'être menstruée quand on prend la pilule, pourquoi s'imposer ça?"
La pilule en continu
Comme bien des femmes adeptes de contraceptifs oraux le savent déjà, les sept petites pilules en fin de plaquette ne sont qu'un placebo et ne contiennent aucune hormone. C'est d'ailleurs la prise de ces pilules et la chute conséquente d'hormones dans le sang qui provoque les menstruations. En les sautant et en passant directement à la plaquette du mois suivant, il est possible de prendre en continu la même dose d'hormones et d'éviter ducoup la chute de progestérone et d'oestrogène dans le sang. Résultat : pas de menstruations. (Voir "règles de base")
Plusieurs femmes, avec l'accord de leur médecin, prennent ainsi la pilule "en continu", pour partir en voyage en paix, si elles doivent participer à une compétition sportive ou remplir des exigences professionnelles diverses.
Plusieurs médecins interrogés ne voient d'ailleurs aucun inconvénient à cette prise de la pilule en continu. Dans les écoles secondaires, les infirmières commencent même à le suggérer aux élèves qui souffrent particulièrement de crampes ou de menstruations abondantes. Mais les jeunes adolescentes ne semblent pas toutes tentées par la chose. "Parce que pour elles, c'est une insécurité de ne pas avoir leurs menstruations. Elles pensent qu'elles sont enceintes", dit Louise Pépin, infirmière à l'école Honoré-Mercier. "Les filles considèrent comme normal d'être menstruées chaque mois", ajoute Carole Rondeau, infirmière clinique au CLSC Verdun-Côte-Saint-Paul.
Normales, les menstruations? "La nature n'a jamais voulu que les femmes aient 13 menstruations par année", répond Leslie Miller, professeure de gynécologie-obstétrique à l'Université de Washington et conceptrice du site Web NoPeriod.com. Jadis, dit-elle, les femmes avaient leurs premières règles vers 16 ans. Aujourd'hui, les filles découvrent les joies du tampon dès 12 ans. Par le passé, les femmes avaient plusieurs grossesses, allaitaient des mois et pouvaient passer des années sans jamais être menstruées. De nos jours, les femmes repoussent toujours à plus tard leur première grossesse. Résultat? Une femme peut connaître près de 450 menstruations dans sa vie.
Certes, les menstruations sont un signe de santé reproductive, concède-t-elle. Mais une fois qu'une femme sait qu'elle peut procréer et qu'elle fait le choix de prendre un moyen contraceptif comme la pilule, elle fait aussi le choix de prendre des hormones. Son cycle n'a plus rien denaturel. À ce stade, les menstruations ne sont plus que cosmétiques, dit-elle.
Leslie Miller assure aussi que dès l'arrêt de la pilule en continu, une femme retrouve son cycle naturel. "Les hormones contenues dans la pilule disparaissent du corps humain en une semaine."
Même son de cloche de la part de Marie-Thérèse Gagnon, chef de service à la clinique de planning familial de l'hôpital Saint-François-d'Assise. "Il y a des femmes qui ont avantage à fonctionner comme ça. Ce n'est ni bon ni mauvais. Oui, elles vont absorber une plus grande quantité d'hormones. Au lieu d'en prendre 21 jours sur 28, elles vont en prendre 28 jours sur 28, concède-t-elle. Mais c'est sûrement sécuritaire." Les combinés d'oestrogène et de progestérone étant de nos jours très faibles.
Robert Sabbah, obstétricien-gynécologue à l'hôpital Sacré-Coeur, suggère souvent à ses patientes de prendre la pilule en continu. Il s'attend aussi à ce que cela devienne "le standard". "Médicalement, il n'y a aucune raison de faire menstruer une femme sous contraceptifs oraux tous les mois, dit-il. Il n'y a pas de grand débat sur cette question dans le monde médical. Le débat est plutôt dans la société."
Selon lui, mettre un terme aux menstruations, c'est aussi "une forme de liberté" pour les femmes. "Si on les libère des menstruations, on va les libérer beaucoup!"