La culture de la dépendance de l'État
Les Affaires, 19 avril 2008
L'ancien ministre Joseph Facal déplore la résistance des Québécois face à la tarification des services publics en la qualifiant de "culture de la gratuité". On pourrait peut-être parler plutôt d'une "culture de la dépendance de l'État", et même d'un certain parasitisme.
Le commentaire de M. Facal fait suite à la publication du rapport du groupe de travail sur la tarification des services publics présidé par l'économiste Claude Montmarquette, de l'Université de Montréal. Ce rapport est intitulé judicieusement Mieux tarifer pour mieux vivre ensemble.
L'ouvrage a une valeur pédagogique certaine. Mais pour que ses recommandations trouvent écho, il faudra que des leaders d'opinion se donnent pour mission de vulgariser son contenu. Ces leaders devront expliquer que le principe de l'utilisateur-payeur ne s'inspire pas d'une doctrine maudite et qu'il peut, au contraire, mener à une société plus équitable envers les plus démunis.
En effet, si l'État obtient plus de revenus des tarifs des services publics, il aura plus d'argent à redistribuer aux moins nantis.
La non-tarification ou la sous-tarification des services sont des sources d'injustice. Voici quelques exemples parmi tant d'autres :
1. Les vasectomies et les ligatures des trompes sont payées par tous les contribuables, alors que ces interventions n'ont rien d'essentiel. Pourtant, elles grugent une partie du budget de la Régie de l'assurance maladie du Québec, qui devrait servir à payer des soins. Qu'attend-on pour faire payer ceux et celles qui utilisent ces moyens de contraception ? Il est sûr que si l'État n'offrait pas gratuitement ces services, leurs utilisateurs paieraient sans maugréer, comme ils le font pour se faire réparer une dent.
2. Autre aberration, les droits de scolarité des universités québécoises sont de loin les plus faibles au Canada. Or, ils profitent surtout aux étudiants de familles aisées, puisque ce sont les plus nombreux à fréquenter l'université. Si ces droits étaient plus élevés (il en coûte environ 25 000 $ par année pour former un médecin, un dentiste ou un vétérinaire), l'État dépenserait moins pour financer l'éducation supérieure, il pourrait améliorer les bourses aux étudiants qui ne pourraient payer ces droits, et les universités pourraient accroître la qualité de la formation, qui laisse parfois à désirer. Cela serait plus équitable pour tout le monde.
3. Les consommateurs rechignent peut-être, mais ils ne se révoltent pas devant le prix qu'ils paient pour mettre de l'essence dans leur véhicule utilitaire sport, pour boire de la bière, fumer ou même assister aux matchs de hockey du Canadien. Or, ils fulminent à l'idée de payer le prix du marché pour l'électricité parce que c'est l'État qui la produit.
Si les consommateurs payaient le prix du marché pour chaque kilowattheure consommé, soit 10,10 cents au lieu de 6,68 cents, Hydro-Québec accroîtrait ses revenus de 2 milliards de dollars par année. Elle remettrait cet argent au gouvernement, qui pourrait ainsi réduire les impôts pour financer les services de santé et d'éducation. Les grands bénéficiaires de cette mesure seraient surtout la classe moyenne, qui se plaint avec raison d'être la vache à lait du gouvernement pour deux raisons : 40 % des contribuables ne paient pas d'impôt et il y a trop peu de riches au Québec pour que leurs impôts fassent une différence.
Le plus grand mythe à déboulonner en matière de tarification des services publics est la prétendue gratuité des services fournis par l'État. Ainsi, parce qu'on ne paie pas directement l'eau fournie par sa municipalité, on pense que celle-ci ne coûte rien. Pire, les 40 % de contribuables qui ne paient pas d'impôt savent peut-être que quelqu'un paie, mais, comme ce n'est pas eux, la tentation est grande d'en ignorer le coût et de surconsommer.
Une tarification adéquate, et même minimale pour les moins fortunés, ferait prendre conscience que les services publics coûtent réellement de l'argent et qu'il ne faut donc pas en abuser.
Le Québec est une des provinces où les tarifs sont les plus faibles au Canada. Selon le rapport Montmarquette, ce sont 5 milliards par année que Québec économiserait si les tarifs de ses services publics étaient sembables à la moyenne canadienne. Québec pourrait alors utiliser ces économies pour protéger les plus démunis et réduire les impôts et la dette.
Il est facile de dénigrer un rapport qui propose un rééquilibrage des tarifs et des impôts. Pourtant, ce rééquilibrage, s'il est bien fait, serait pertinent sur le plan économique et plus équitable pour l'ensemble de la société.
jean-paul.gagne@transcontinental.ca© 2007 LesAffaires.com